Observer sur longue durée (1980-2020) l’évolution de la négociation collective dans la fonction publique française suppose de croiser deux démarches sociologiques.
La première concerne l’action publique ; elle conduit l’analyste à examiner, pas à pas, les différentes réformes que l’État s’inflige depuis quelques décennies pour rendre plus efficace son intervention et, dans ce cadre, considérer le rôle que cet État entend accorder au dialogue social – pour mener à bien ces réformes ou modifier son fonctionnement. Cette approche, à la fois historienne et analytique, permet de mesurer, sur durée longue, la capacité d’une autorité publique, au-delà des mandatures, de se réformer elle-même, et de le faire en introduisant en son sein un mécanisme de contre-pouvoir et de décision conjointe : la négociation collective. Leçon de cette observation : cet effort lui coûte, et cette autorité publique ne parvient que partiellement à son objectif ; mais le point d’où elle repart dans son effort de réforme est au-delà de celui où elle s’est arrêtée ; et son désir de rendre consubstantiel à son action le dialogue social y est plus affirmé. L’ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique, parue au Journal officiel le 18 février (lire ici) en est l’illustration.
La seconde démarche concerne les relations collectives de travail dans la fonction publique ; elle conduit l’analyste à étudier le jeu, complexe, des acteurs sociaux et à comprendre pour quelles raisons la place dévolue à cette négociation collective y est (encore) une place mineure, malgré les efforts opérés en ce sens. Les fonctions publiques sont chacune singulières, les employeurs publics sont formés dans des écoles de gestion spécifiques, et toutes sont soumises à des contraintes de nature variable. Le rapport entre norme légale et norme négociée y est apprécié de façon différente, et la concertation y est vécue pareillement. Tout cela dessine un tableau clinique contrasté, et les pratiques de négociation collective sont à cette image.
Les billets I à III (cliquer ici) ont tenté de documenter ces deux approches ; le billet IV a porté le regard sur le vécu des acteurs, le billet V a fourni un éclairage européen. Il s’agit maintenant, dans ces billet VI et VII conclusifs, de circuler entre ces deux approches, l’explication de tel évènement ou de telle posture se comprenant par les effets croisés de causes exogènes – en tout cas : non directement à l’œuvre dans les situations observées. L’on ne peut, à titre d’exemple, comprendre le constat, lucide, du gouvernement à propos de la négociation collective dans la fonction publique, tel que le Premier ministre l’exprime dans sa Lettre de mission confié à Marie-Odile Esch en novembre 2019 (lire ici) – « seuls quatre accords ont été conclus (…) et cinq ans se sont écoulés entre la conclusion de l’accord du 22 octobre 2013 (…) et le dernier accord majoritaire, conclu le 30 novembre 2018 (…) » – sans relier cette non-pratique de négociation collective dans la fonction publique à la décision de l’État de ne pas accorder de portée juridique aux accords signés dans les administrations et à la propension de certaines organisations syndicales à n’envisager des pratiques contractuelles que comme complément éventuel des dispositions réglementaires, et dans le cadre d’un stricte application du principe de faveur.
On ne peut, à l’identique, comprendre en 2020 le recours à une ordonnance, comme celle du 17 février 2021 (et non à une loi, ou à un accord national) pour « rénover le dialogue social dans la fonction publique » – produisant ainsi un nouvel oxymore politique « à la française », le dialogue social étant institué par l’Etat sans aucun… dialogue parlementaire ! – sans connecter cette décision aux atermoiements étatiques de la dernière décennie, les nouveaux droits contractuels accordés étant parfois bridés par des circulaires administratives qui, sous prétexte de préciser leur application, l’entravent de mille manières, ou en la reliant à une méthode gouvernementale parfois hésitante de « concertation / négociation » avec les syndicats – par exemple celle, autoritariste, mise en œuvre sous le magistère de MM. Darmanin et Dussopt au printemps-été 2019, à la différence de l’approche adoptée depuis août 2020 par Mme Amélie de Montchanin…
Cette observation, sur quarante ans, de l’évolution des pratiques de négociation collective dans la fonction publique permet de repérer quelques constantes ; elles matricent les positionnements des organisations syndicales et des employeurs publics. Elle permet également de tirer quelques leçons générales sur cette pratique de la négociation collective quand le législateur est aussi un employeur, et que ce dernier dispose de la faculté de provoquer une négociation, d’en déterminer l’étendue et le sujet, tout en veillant à ne pas rendre contraignantes les normes produites par cette négociation collective…
Ce présent billet tire deux premiers enseignements, le billet suivant conclura l’analyse.
***
- Se concerter ou négocier ? Le dilemme d’une action publique ambivalente
Une volonté de l’État de se réformer, assurément, mais doublée d’une volonté, tout aussi affirmée, de ne pas franchir certaines limites, qui le sont pourtant quelques années plus tard, donnant ainsi l’impression de lois courageuses mais toujours inachevées. Ces quinze dernières années ont vu se succéder la publication de plusieurs rapports demandés par l’État à divers hauts-fonctionnaires ou personnalités (Rapport Fournier en 2002, Rapport Chertier en 2006, Rapport Pêcheur en 2013, rapport Esch en 2020, etc.), donnant l’impression d’un État procédant avec prudence, reculant sur tel point, forçant l’allure sur telle autre, et semblant satisfait d’avoir pu, à chaque fois, malgré les abandons tactiques, instaurer un réel effet de cliquet, la loi suivante poursuivant l’effort entrepris, un moment interrompu…
Une contradiction permanente entre une action publique qui accepte d’être négociée et une action publique qui refuse de l’être, ou entre une action publique jacobine et une action publique girondine, les différents gouvernements semblant donner des gages à l’un ou à l’autre des deux camps, profitant des opportunités quand elles s‘ouvrent, voire les suscitant quand elles tardent, ou, à l’inverse, devenant subitement frileux dans l’application des principes contractuels qu’ils promeuvent pourtant…
Une tension, toujours vive, entre deux spécificités, celle du secteur public et celle du secteur privé. Tel acteur social réclame pour l’un des droits existants depuis des décennies dans l’autre, mais tel autre souligne la singularité du statut de fonctionnaire et exige qu’il n’y soit en rien porté atteinte. Les postures parfois s’inversent, au risque d’une incohérence doctrinale. Coexistent ainsi l’inquiétude de voir s’étendre au secteur public des pratiques managériales issues du secteur privé, et le souhait, néanmoins, de faire bénéficier aux agents de certains avantages dont les salariés bénéficient… En résultent des postures à front renversé – l’État octroyant aux agents publics un droit à l’autonomie et à l’initiative avec les mêmes arguments que déploieraient des syndicalistes pour exiger de leur employeur cet octroi… –, tandis que certains de ces derniers exigent l’application stricte d’un statut pourtant fondé sur l’absence d’autonomie laissée aux agents…
Une pluralité de sensibilités syndicales, conduisant à des rivalités et des positionnements stratégiques (comme la non-signature d’un accord collectif, ou le refus de participer à une réunion de concertation ; ou le front commun d’un jour, sur des enjeux particuliers). La représentativité, quasi identique, de la CGT (21,6 % des voix exprimées ; mais 33 % au ministère de la Culture…), de la CFDT (19 %) et de FO (18 %, mais 34 % à l’Intérieur…) – le challenger, l’UNSA, étant à 11 % (mais à 31 % au ministère de la santé…) – les poussent à une politique de démarcation, sur fond d’un net clivage entre réformisme et radicalisme statutaire (lire ici).
Une pluralité d’organisations publiques. À cette pluralité syndicale s’ajoute une forte disparité entre les divers secteurs de l’action publique, que celle-ci relève de l’Etat, qu’elle s’exerce dans les territoires ou qu’elle organise le secteur de la santé et de la solidarité, et au sein même de chacun des trois « versants » de cette action publique, le rapport aux usagers et aux agents étant manifestement différent selon que l’on est haut-fonctionnaire au ministère du Budget ou au ministère du Travail… Il n’est donc pas anodin que la Lettre de mission adressé à Mme Esch en novembre (lire ici) mentionne explicitement que sa mission « devra tenir compte des spécificités des fonctions publiques territoriale et hospitalière et des enjeux propres à chaque versant (…) en vue de proposer, le cas échéant, des adaptations. »
Cette « négociation » ne dit pas son nom ; il s’agit plutôt d’une concertation à géométrie variable et à vocation compromissoire. Celle-ci prend la forme, de fait, d’une somme de concertations bilatérales, entre gouvernement et chaque confédération syndicale et, probablement, de discussions entre gouvernement et groupement d’employeurs publics, et, à intervalles réguliers, d’une sorte de « plénière » où ne s’actent pas les décisions, mais où celles-ci sont communiquées aux organisations syndicales par les représentants du gouvernement.
Le gouvernement prend soin de ne pas utiliser le terme de négociation (par exemple, ce propos du ministre Olivier Dussopt à l’époque des rencontres autour de la future loi dite « TFP », Transformation de la Fonction Publique, à l’automne 2018 (lire ici) : « Ce ne sera pas une négociation. Nous restons dans le cadre d’une concertation. Vu les délais qui sont les nôtres, vu le travail mené surtout – 70 réunions de concertation sur les 4 chantiers – nous aurons évidemment une discussion globale, mais je ne vais pas rouvrir des cycles autour des chantiers. Il y aura une réflexion globale sur l’ensemble des dispositions que nous voulons proposer au Parlement au premier semestre 2021 ».
Amélie de Montchanin, dans sa Lettre aux agents publics du 9 septembre 2020 (lire ici) parle d’ailleurs seulement de « rencontres, de « travaux » et « d’échanges » avec les représentants de ces agents, et non de « négociation ».
Cette « concertation négociée » (et l’opacité entretenue sur le statut exact des rencontres avec les organisations syndicales) a, pour la puissance publique, quelques avantage et plusieurs inconvénients.
Le premier avantage réside dans le fait que, à la différence d’une négociation collective classique, où chacune des parties possède un droit de veto sur les vouloirs de l’autre (en refusant d’aborder un sujet, ou d’opérer une concession), il n’y a ici qu’une seule partie qui oppose son veto – le gouvernement –, ses partenaires d’interaction n’ayant à leur disposition qu’un veto symbolique (puisque ce gouvernement publiera, au terme de l’interaction, qu’un « relevé de décisions » (qu’il prend, seul), ou un texte de loi amendé dans le sens réclamé par ses interlocuteurs syndicaux (mais qui sera à son tour amendé par les parlementaires, et possiblement dans un sens non souhaité par le gouvernement… ).
Second avantage : la possibilité, en diversifiant le format des rencontres, de ne pas se heurter à un front syndical soudé par sa seule opposition au gouvernement mais traversé de solides divergences. Michel Rocard (voir mon billet de blog du 29/01 : lire ici) décrivait ainsi (en juin 2004) les motifs de cette concertation à la fois bilatérale et multilatérale : « Alors comment fait-on ? L’indispensable, c’est la discrétion et la multiplication du bilatéral discret ; c’est-à-dire : négocier lors de conversations bilatérales, avec la somme des interlocuteurs ayant du poids sur le sujet. Donc, le patron, le ministre ou le Premier ministre doivent conduire des négociations tenues secrètes pour l’essentiel, conclues par des relevés de décisions, ou des relevés de propositions acceptées, avec tout ce que cela comporte de travail nécessaire pour les rendre petit à petit convergentes.
C’est le meilleur moyen de limiter les concessions, mieux que le face-à-face avec un front syndical rassemblé, porteur d’une symbolique contestataire unie. Dans le paysage syndical actuel, c’est la bonne méthode ; c’est la seule qui permette de prendre en compte, sans se mettre violemment à dos les syndicats, les fréquents mouvements de grèves spontanées ou les coordinations. J’ai réussi, avec des procédures similaires, à réformer les services de mon ministère… »
Quels sont les inconvénients de cette « négociation qui ne dit pas son nom » ? Un, ces bilatérales obligent le gouvernement à accorder à l’un et à l’autre ce qu’il demande pour éviter une opposition frontale au texte, au risque d’atténuer la volonté réformatrice. Deux, ce gouvernement doit également convaincre les employeurs publics de devoir accepter une limitation de leurs prérogatives (et accepter de devoir négocier certains sujets avec les organisations syndicales à propos desquels ils refusaient de négocier jusqu’alors…) tout en refusant lui-même d’accepter une limitation de ses prérogatives… Ainsi de sa volonté, dans les premières moutures du projet d’ordonnance avant le texte définitif du 18 décembre 2020 soumis au vote des syndicats, de donner la possibilité – contre toute logique contractuelle ! – à une autorité publique de niveau supérieur à celle d’une autorité de niveau inférieur contractualisant avec ses partenaires syndicaux d’invalider l’accord que celle-ci aurait signé…
Cette « négociation faiblement contractuelle » permet également aux syndicalistes de « faire leur marché » dans les productions de ce singulier dialogue social en choisissant parmi ces productions celles qui leur permet de valoriser leur action auprès de leurs mandants sans en assumer les coûts, générant ainsi des compromis belliqueux – selon l’heureuse expression d’Alexandra Garabige (lire ici).
Cela dit, l’État n’a guère le choix : la spécificité des trois « versants » de la fonction publique, la spécificité des champs de l’action étatique, la pluralité des forces syndicales, etc., le conduit, pour réformer la manière dont il pilote son action, à multiplier les modes de co-construction des normes qui régissent les rapports avec les agents publics et entre ceux-ci et les destinataires de l’action publique. Relevés de conclusion, faisant suite à des rencontres bilatérales et multilatérales ; groupes de travail thématiques ; lettres aux agents publics (pour la dernière en date, sollicitant leurs idées pour simplifier l’action publique ; lire ici) ; lettres de mission, et rapports de mission ; circulaires administratives ; dépliants et brochures de présentation aux usagers et aux agents ; débats parlementaires lors de l’examen des projets de lois (avec leurs études d’impacts et l’exposé des motifs) ; concertation à propos des projets d’ordonnance (pour celle devant être promulgué avant mars 2021, lire ici), communiqués de presse, etc. : autant de moyens possibles pour conduire ou orienter cette « concertation négociée »…
Comment s’opère cette concertation ? Prenons l’exemple d’une séance d’un des groupes de travail thématiques qui se sont réunis au second trimestre 2020. Le déroulement de cette « négociation qui ne dit pas son nom » est le suivant : les ministres négociant au nom du gouvernement donnent lecture de l’article qu’ils proposent d’inclure dans la loi ou dans l’ordonnance (« L’article 4 indique que… », « L’article 5 précise que… »). Certaines organisations syndicales interviennent alors pour alerter, contester, proposer une autre formulation (par exemple : « L’UNSA demande qu’aucun délai ne soit applicable »). Le ministère indique alors qu’il y est défavorable. Puis un vote indicatif est organisé sur l’amendement proposé par ce syndicat (pour l’exemple donné de cet article 4 : « Pour : CFTC, CGC, FA-FP, FO, solidaires, UNSA ; Contre : employeurs hospitaliers, employeurs Etat ; Abstention : CFDT, CGT, FSU, employeurs territoriaux »). Puis c’est au tour de l’article 5 d’être examiné, et la même procédure se répète… Parfois le gouvernement donne un avis favorable à l’amendement, le vote en commission entérinant alors la modification du texte soumis à l’approbation des parlementaires. (Pour un exposé détaillé, lire ici).
- Quelle place accorder à la négociation collective ?
« C’est l’État employeur qui fixe unilatéralement les conditions d’emploi de ses agents, ainsi que l’étendue de leurs droits et de leurs obligations » comme le rappelait le sénateur socialiste Didier Marie lors des débats au Sénat de la loi TFP le 18 juin 2019 en s’opposant à la nouvelle rédaction du premier alinéa de l’article 9 de la loi Le Pors ; lire ici). « Le dialogue social » argumentait-il, « peut se définir comme l’ensemble des processus d’échanges organisés entre représentants des employeurs et des salariés. Cette définition s’applique aussi bien au secteur privé qu’au secteur public. Mais les spécificités de la fonction publique singularisent largement le dialogue social qui s’exerce en son sein, les fonctionnaires étant soumis à un régime juridique exorbitant du droit commun. » Et plus loin : « La conception française du rôle de l’État dans la société a déterminé le mode de régulation des rapports de celui-ci avec ses agents. La place reconnue à la puissance publique dans la définition de l’intérêt général justifie la prédominance du principe hiérarchique dans son organisation, et donc la situation statutaire des fonctionnaires. »
Cette conception d’un État incarnant par essence l’intérêt général, partagée par les élites politiques françaises, quel que soit leur camp, explique la place réduite dévolue à la négociation collective dans les trois fonctions publiques. L’État-employeur (20 % des effectifs de l’emploi total) s’effaça ainsi devant l’État exerçant ses prérogatives régaliennes ; et celui-ci n’entendait pas déléguer à d’autres son pouvoir régulateur. En découlèrent : un système public de relations professionnelles fondé sur les instances consultatives (les comités techniques, etc.), malgré leur dysfonctionnement récurrent, et bien peu sur la négociation collective; l’absence d’une obligation annuelle (ou trisannuelle) de négocier, l’invitation à le faire restant à la discrétion de l’employeur public ; un droit des agents publics « à » la négociation collective, mais assujetti au bon vouloir de l’employeur public (et non un droit « de » la négociation, égalisant les rôles et les devoirs) ; pas de portée normative des accords : ils ne possèdent pas de force juridique opposable (cf. l’arrêt du Conseil d’État du 19 juin 2006 indiquant qu’un accord collectif présente « le caractère d’un simple relevé de conclusions, établi à l’issue de négociations menées avec ces organisations syndicales et destiné à orienter le comportement des partenaires sociaux dans leurs relations réciproques. [Un] tel document n’a pas le caractère d’un acte susceptible de recours devant le juge administratif ») ; des conditions de validité des accords collectifs en théorie identiques au secteur privé (clause dite de l’« accord majoritaire ») mais privées d’effectivité par l’absence de portée normative de ces derniers, etc. Cette restriction du droit des agents publics à la négociation collective ne pouvait persister dès lors que la puissance publique française entendait, à l’instar de toute l’Europe, se convertir aux vertus « new public management ».
À rebours du modèle wébérien, vertical et procédurier, cette manière de repenser l’action publique se veut efficiente dans l’utilisation des ressources, et promeut l’autonomie des chefs de service et l’individualisation de la gestion des agents. « En France, pays fortement marqué par la mystique de l’État agissant », notait Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque sur le thème « Droit du travail et droit de la fonction publique »en janvier 2014 (lire ici), « cette mutation de la gestion publique a constitué une véritable ‘révolution culturelle’ qui ne s’est pas opérée sans une sorte d’arrachement symbolique. »
Il a donc fallu, parfois à marches forcées, transférer au secteur public ce qui avait été expérimenté vingt ans plus tôt dans le secteur privé en matière de gestion des ressources humaines et de pratiques du dialogue social. Ce mouvement, irréversible, conduit à la situation d’aujourd’hui : l’impossibilité de ne pas conjoindre gestion des ressources humaines, gestion de l’action publique et dialogue social – c’est le sens des efforts de l’exécutif depuis 2017 en France ; et l’impossibilité de se défaire de nos réflexes jacobins en matière de politiques publiques et d’une conception surannée de la négociation collective, saisie uniquement dans le rapport acquisition / dépossession.
Jacques Fournier, dans son Livre blanc sur le dialogue social dans la fonction publique de 2002, soulignait deux écueils dans ce travail de mise en congruence entre réforme de l’État, dialogue social et pratiques de GRH (lire ici) :
« Un exercice du dialogue social trop dissocié des véritables pouvoirs de décision, dans lequel ceux qui dialoguent ont très peu d’influence sur les décisions, et ceux qui décident ont très peu d’informations sur le dialogue ;
« Et une gestion des ressources humaines trop dissociée des responsabilités de gestion de l’action publique, dans laquelle ceux qui dialoguent et décident en matière de gestion du personnel n’intègrent pas – ou trop peu – les impacts des orientations et décisions relatives aux missions, aux programmes, aux méthodes, aux relations avec les usagers, et à tout ce qui peut changer jour après jour le travail des agents. »
Constat lucide, inchangé en ce début 2021. De même, toujours d’actualité, ce jugement du Conseil d’État dans son rapport annuel de 2003 (lire ici) :
« Aucun texte ne prévoit une périodicité obligatoire pour engager une négociation sur les différents sujets de fonction publique, si bien que la négociation est octroyée par le Gouvernement, et même que la question de savoir si et quand il convient d’engager une négociation sur tel ou tel sujet devient en soi une cause de discussion, de tiraillement voire de conflit entre pouvoirs publics et organisations syndicales et entre celles-ci. Les pouvoirs publics ont souvent davantage recours à la négociation pour montrer leur capacité d’avoir un dialogue approfondi avec les organisations syndicales que parce qu’ils sont convaincus de la nécessité de passer par la voie de la négociation ; ils n’y ont recours de ce fait qu’avec parcimonie, car ils savent que dès qu’une négociation est ouverte, ils sont obligés d’aller jusqu’au bout, sauf à devoir admettre un échec politique, ou devoir ‘payer le prix’ d’un accord » .
(Suite du texte dans le billet suivant)