(Je reproduis ci-dessous – dans le cadre du droit de citation et après avoir sollicité l’aimable autorisation du journal Le Monde – quelques extraits de l’entretien avec Stéphane Sirot, socio-historien, recueilli par Marie Pouzadoux et publié hier, le 12 décembre 2022.
Je souscris en totalité au propos de Stéphane Sirot. Il décrit avec justesse et de façon pédagogique l’état du système français de relations sociales.
Il devient urgent que l’on tire collectivement les leçons de cette propension des élites françaises, politiques et économiques, à « réformer » à la va-vite, quitte à créer un surcroît de conflictualité dont notre pays n’a nul besoin, et à refuser, comme le font les démocraties d’Europe du Nord, de bâtir des compromis satisfaisants avec toutes les parties prenantes, via des processus articulés de négociations collectives et des séquences de délibération collective dédiées, permettant à chacun, salarié, militant, manager, expert, etc. et à son niveau d’action – l’entreprise, la branche professionnelle et à l’interprofessionnel – d’agir en responsable.
Pour accéder à l’article et le lire dans son intégralité : cliquer ici.)
***
« (…) En France, la consultation et la concertation semblent supplanter la négociation dans la pratique du dialogue social. Comment l’expliquer ?
Stéphane Sirot : La négociation n’est pas le mode privilégié du dialogue social en France en raison de notre histoire politique et de la manière dont s’est construit l’État. Il est en effet monnaie courante pour le pouvoir en place de considérer que, puisqu’il possède la légitimité démocratique, c’est à lui de décider de la substance de la loi.
Dès la Révolution, notre pays a institutionnalisé un rapport de force entre l’État et les corps intermédiaires, en interdisant en premier lieu la formation de corporations et de « coalitions », soit de grèves et d’organisations, avec la loi Le Chapelier (1791). Le renforcement de la centralisation politique déjà à l’œuvre a alors été un moyen de s’assurer qu’il n’y ait plus d’« obstacles » entre l’État et les citoyens.
(…) Emmanuel Macron a une conception verticale du pouvoir : il estime que c’est au gouvernement de décider de l’essentiel de la loi, et non pas aux oppositions parlementaires et aux organisations syndicales. Pour lui, le cadre d’intervention légitime des syndicats est celui de l’entreprise. C’est pourquoi ses gouvernements successifs ont consulté, davantage que négocié – sauf sur les sujets consensuels ou pour lesquels ils y ont été obligés.
Cette conception du dialogue social se retranscrit aussi dans le champ sémantique : le gouvernement prend grande précaution à ne pas employer le terme de négociation (…) En lui préférant le mot de concertation, cela revient à faire comprendre que c’est bien lui qui est maître des décisions, peu importe le nombre de fois où il a rencontré les syndicats. (…)
L’absence de volonté politique d’engager des négociations sur la réforme des retraites suffit-elle à expliquer la tension du climat social ?
(…) Revenir sur l’âge de départ à la retraite ou la durée de cotisation entraîne presque toujours de la conflictualité. Mais il est clair que le déficit de recherche de compromis de la part du gouvernement sur le sujet n’aide pas à apaiser le climat social. Cela avait déjà été le cas lors des discussions autour du précédent projet de loi sur les retraites, qui a finalement été abandonné.(…) Ils auraient pu abandonner leur souhait de mettre en outre en place une réforme paramétrique, à laquelle le syndicat n’adhérait pas, pour trouver plus aisément un accord avec lui, mais ne l’ont pas fait.
L’autre problème, qui explique l’électrisation du débat, est que nous ne savons pas prendre notre temps pour réformer. Or la question du temps est inséparable de celle de la négociation : on ne peut pas arriver à un compromis dans la précipitation.
La preuve en est avec l’exemple de la réforme des retraites de 2010 : alors que la loi a été adoptée rapidement sur fond de forte contestation sociale, au même moment, les Pays-Bas réformaient eux aussi leur système de retraites. Mais eux y sont parvenus de manière plus apaisée, au terme d’un processus de négociations étendu sur deux années (2009-2010). Dès lors qu’un contre-pouvoir ne peut pas utiliser efficacement la négociation pour faire valoir ses intérêts, il utilise ce qui lui reste : le rapport de force. C’est précisément ce qui caractérise l’état du dialogue social en France aujourd’hui. »
Propos recueillis par Marie Pouzadoux.
Merci d’avoir mis en évidence cet interview. Un point à peine évoqué mérite de compléter l’analyse. Dans les domaines du social la loi est issue de deux sources très différentes; dans un cas il s’agit de la transposition législative d’un accord conclu entre patronats et syndicats, dans l’autre c’est une construction classique issue du travail d’un ministère et du parlement (voire uniquement du ministère lorsqu’il est procédé par décret). Il suffit de comparer ce que produisent ces deux voies pour vérifier ce qui tombe sous le sens. Dans le premier cas, le processus est plus long mais le résultat est issue de la confrontations des points de vue de forces qui ne sont pas (ou pas trop) éloignés des réalités, de leur complexité et diversité…ce qui rend la mise en œuvre moins conflictuelle et souvent plus aisée.
MG.
J’aimeJ’aime