De quoi le dialogue social est-il le nom ? Pistes pour un programme de recherches sur un concept à repenser…

S’est tenu vendredi 8 octobre à Nancy une journée d’étude autour de l’ouvrage dirigé par Frédéric Géa et Anne Stévenot, « Le dialogue social. L’avènement d’un modèle ? ».  La journée était organisée autour de quatre tables-rondes  (voir le programme ci-dessous). J’étais invité à participer à la première table-ronde, le matin, sur le thème : « De quoi le dialogue social est-il le nom ? ». J’y ai présenté la réflexion suivante, en traçant quelques pistes possibles de recherches autour de l’instruction de cette (pertinente) question…

« Pour réponde à la question de cette première table-ronde, « De quoi le dialogue social est-il le nom ? », nous disposons désormais d’un important matériau : la quarantaine de contributions publiées dans l’ouvrage coordonné par Frédéric Géa et Anne Stévenot, à propos duquel nous sommes réunis ce jour ; les travaux du groupe « Qualité du dialogue social », au sein du Comité d’évaluation des ordonnances sur le travail, qui nourriront la rédaction du rapport final, attendu en décembre ; et de multiples travaux, épars mais riches de réflexions incisives, tels le rapport pour l’OIT de Bernard Gazier et Fréderic Bruggeman (2017 ; lire ici), le mémoire HDR d’Élodie Béthoux (2020 ; lire ici), etc.

« Que faire de ce riche matériau ? Frédéric Géa a raison : l’idée n’est – surtout ! – pas  d’arbitrer entre diverses définitions ou approches, puis d’imposer une définition standard du dialogue social ; l’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions… Que faire alors, sachant que l’absence d’une définition consensuelle de ce qu’est « le dialogue social », ainsi que l’imprécision de ce concept et son usage débridé, nuisent à une lecture objective de ce qu’est, aujourd’hui, la réalité du dialogue social en France, et freinent la réflexion sur les initiatives à prendre pour le performer ?

Je propose ici trois chemins possibles, parmi d’autres, pour passer à l’étape suivante, maintenant qu’il y a consensus sur ce problème, comme le souligne le titre de cette table-ronde, sous forme d’interrogation : de quoi, diable !, le dialogue social est-il le nom ?

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Premier chemin : travailler à une « archéologie du dialogue social ».

L’idée, ici, est d’élargir le regard aux quarante dernières années – disons à partir de 1982 et du vote des lois Auroux – pour comprendre la (lente) genèse de cette notion, identifier les forces sociales qui l’ont porté, leurs stratégies de promotion, les moments-clés du travail de médiatisation de la notion, les débats, académiques et parlementaires qu’elle a suscité, etc.

Ce travail archéologique portera ainsi au jour les mouvements, quasi tectoniques, qui font qu’aujourd’hui, vendredi 8 octobre 2021, nous nous interrogeons encore, un peu moins de vingt ans après l’inscription de cette notion dans la loi française et le Code du travail, sur ce qu’est, ou devrait être le dialogue social… Surtout, nous vérifierons combien cette expression, surgie en 1984 dans les milieux bruxellois de l’Union européenne, pour faire alors le contrepoids à celle de « dialogue civil », s’est progressivement imposée dans nos débats, au point d’être désormais utilisée – cela demeure étrange à mes yeux… – comme substitut à « négociation collective ».

Il n’est que de relire les débats parlementaires lors des votes des lois de 2006 et 2008 et l’introduction dans le Code du travail d’un chapitre préliminaire composé de trois articles, numérotés L1, L2 et L3 et consacrés à l’obligation d’une concertation préalable par le législateur des organisations syndicales en cas de volonté de légiférer dans le domaine des relations sociales, de relire ces débats, donc, pour constater l’opiniâtreté des députés et sénateurs de la majorité présidentielle d’alors –  autour du RPR – pour ne pas y faire figurer l’expression « négociation collective » et affirmer, contre toute évidence, que « négociation » est compris dans « concertation » et « consultation »…

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Deuxième chemin possible : raisonner en « politique du dialogue social ».

L’idée, ici, est d’analyser le dialogue social comme une politique publique – ce qu’il est d’ailleurs devenu, estompant ainsi son autre nature, celle d’une catégorie pour penser les interactions sociales entre l’Etat et les partenaires sociaux. Il s’agirait d’étudier ce dialogue social avec les outils usuels des politiques publiques et, notamment, ceux proposés par Pierre Muller (2000 : lire ici), qu’il présentait sous l’intitulé d’analyse cognitive. Il y proposait la notion de « référentiel », ce dernier étant composé de « valeurs », de « normes », d’ « algorithmes » et d’ « images », pour saisir la manière dont cette politique publique, fonctionnant comme un « programme politique » à caractère performatif, était de nature à orienter durablement des pratiques sociales, matricer des représentations collectives et nourrir un imaginaire social.

L’objectif, par ce chemin, est de comprendre comment cet objet, à propos duquel nous nous interrogeons ce matin – le dialogue social – s’est progressivement construit, par des lois, des décrets et des circulaires, par des bilans annuels de la négociation collective en France, par des cahiers des charges (comme celui régissant les « formations communes » ; lire ici), des exposés de motifs et des rapports de commission parlementaire, par des sondages d’opinion ou l’écriture de questions à poser aux individus dans le cadre de « baromètres du dialogue social » (pour la dernière enquête du Cevipof : lire ici)

Rendre compte de ce travail politique permet de comprendre comment des images sociales deviennent prégnantes, comment se forgent des croyances (par exemple dans les vertus socio-productives du dialogue social) et comment certaines recommandations sont traduites dans la loi et d’autres, tout aussi pertinentes, tardent à l’être (par exemple, comme pour les ordonnances de 2017 ou la loi Pacte de 2019, la faible propension à entrer dans l’ère de la codétermination « à la française »).

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Troisième chemin possible : élaborer « une économie du dialogue social ».

L’idée, ici, est de considérer ces référentiels, discours, images, débats, etc. autour du « dialogue social », comme des produits rivaux sur un marché (celui des idées et des incitations à faire) et donc d’étudier les opérateurs de ce marché – les consultants, les avocats, les chargés de mission Anact, les universitaires, etc. –, leurs stratégies de promotion et de commercialisation envers leurs clients – les directions d’entreprises, les syndicalistes, etc. –, les règles de  ce marché du « dialogue social », les évènements médiatiques qui le portent au jour (tels les « Réussites du dialogue social », proposées dans le rapport Gateau-Simonpoli (2018 ; lire ici) et qui n’ont eu qu’une seule édition, animée par Muriel Pénicaud).

Cette « économie du dialogue social » permet de réfléchir à l’efficience de cette politique et aux outils, techniques et procédures nécessaires pour qu’elle demeure efficiente et sache s’adapter aux transformations de nos organisations et de la vie au travail.

Concernant l’efficience du dialogue social : la prochaine publication des travaux du groupe « Qualité du dialogue social » au sein du Comité d’évaluation des ordonnances permettra de disposer d’un solide état de l’art sur ces questions croisées de qualité (ou d’intensité) du dialogue social et de performance des entreprises, ou d’une série d’indicateurs, auxquels travaillent divers chercheurs et praticiens (par exemple, ceux élaborés au sein de Global Deal : lire ici).

Concernant les outils et procédures : demeure, à mes yeux, une urgence sociale, celle de bâtir une « ingénierie du dialogue social », de sorte que la mise en œuvre des sept composantes du dialogue social (l’expression des salariés, les échanges d’informations, la consultation, la concertation, la négociation collective, la gestion paritaire et la codétermination) bénéficie d’un soutien logistique et de démarches d’accompagnement des partenaires sociaux, au plus près de leurs souhaits et préoccupations. »

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