Mme Pénicaud, ministre du Travail : « La réussite pérenne de nos entreprises (…) est liée à leur capacité à développer un dialogue social de qualité »

Le ministère du Travail a dévoilé dimanche 3 mai 2020 le Protocole sanitaire de déconfinement pour les entreprises françaises du secteur privé (lire ici). Il prévoit, indique le site web du ministère, « des mesures strictes pour assurer la protection du personnel, comme la distance entre deux salariés, la désinfection des locaux ou la fourniture de masques de protection. » L’objectif, lit-on, est d’« aider et accompagner les entreprises et les associations, quelles que soient leur taille, leur activité et leur situation géographique, à reprendre leur activité tout en assurant la protection de la santé de leurs salariés grâce à des règles universelles ».

Ce document de 22 pages fournit des indications précises : « calcul des surfaces résiduelles et des jauges maximales », « gestion des flux déterminée par les goulots d’étranglement », « désinfection (…) réalisée avec un produit répondant à la norme virucide (NF EN 14476 juillet 2019) », « masques FFP1 (filtration de 80 % des aérosols de 0,6 micron),-FFP2 (94 %)-FFP3 (99 %) », etc.

Il complète le dispositif d’informations / préconisations du ministère du travail déjà en place, dont les 48 fiches-métier, préparées par l’INTEFP  (« Chauffeur Livreur », « Travail dans une station service », « Employé de centre de tri ou d’incinération », « Travail dans la restauration collective ou la vente à emporter », etc.) et la mention des différents guides rédigés par les organisations professionnelles d’employeurs (lire ici).

Ces « fiches-métier » et ce « Protocole sanitaire de déconfinement », indique le site web du ministère, « sont destinées aux employeurs, qui est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés, mais qui seront utiles aussi à tous les travailleurs, pour se protéger des risques de contamination au COVID-19. »

Passons sur la faute grammaticale, probablement due à des phrases raturées et à un texte dactylographié dans l’urgence, pour nous interroger sur la logique ministérielle sous-jacente : ces fiches et ce guide sont ainsi destinés « aux employeurs » – mais peuvent être utiles « aux travailleurs ». Pourquoi ne pas indiquer, sans différencier ainsi les statuts, que ces documents s’adressent à tous, qu’on soit puissant ou misérable ? Et pourquoi ne pas avoir mentionné le CSE, dont le rôle, je le rappelle, est « d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production » ?

Et pourquoi, plus largement, nous ne lisons ou n’entendons de déclaration ministérielle et  gouvernementale, depuis plusieurs semaines, sur l’ardente nécessité du dialogue social par ces temps bousculés de crise sanitaire ? Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, vient de le rappeler, encore une fois, dans un entretien paru ce matin dans Le Monde.fr (lire ici).

Interrogé à propos de la publication dimanche de ce Protocole de déconfinement dans les entreprises, Laurent Berger répond ceci :

« Ce guide émet des recommandation précises en termes de santé mais ne dit rien sur la méthode sociale pour y parvenir. C’est son grand manque. C’est incroyable qu’il n’y ait pas au minimum une explication pour dire que ces préconisations doivent être mises en œuvre dans le cadre du dialogue avec les représentants du personnel. Les entreprises qui vont l’appliquer de manière unilatérale, même en le respectant, risquent de passer à côté de l’essentiel, c’est-à-dire redonner confiance à des salariés. »

« C’est incroyable » dit M. Berger… En effet, on peine à croire qu’il faille, d’un côté, fournir des indications précises pour « le calcul des surfaces résiduelles et des jauges maximales » et, d’un autre côté, n’en donner aucune sur la manière, concertée, négociée, de réorganiser les activités de travail, ou de modifier l’organisation du travail pour respecter les consignes de sécurité sanitaire.

Comment comprendre ce décalage entre l’attitude des partenaires sociaux, Medef compris, réaffirmant, à chaque communiqué commun, la nécessité du dialogue social, et celle de l’exécutif, qui se garde d’en faire mention ? L’ANDRH, l’association nationale des DRH, pour ne citer qu’elle, a publié il y a une semaine, le 30 avril 2020, un Mémo : Comment maintenir le dialogue social (lire ici)

« Gestion de la crise, suspension / maintien de l’activité, confinement et réunions à distance font partie de la nouvelle donne pour maintenir le dialogue social que l’ANDRH appelle les DRH à renforcer (communications régulières, échanges formels et informels, souci de transparence, maintien du lien, etc.) » est-il écrit en liminaire de ce petit guide, synthétique et pédagogique (notamment son Focus sur la négociation d’accord d’entreprise. Négociations via visioconférence, signature et dépôt électroniques).  

Mais la semaine précédente, le 22 avril, Mme Pénicaud présentait devant le Conseil des ministres un projet d’ordonnance, signé le soir même par le président de la République, permettant « d’adapter, par voie réglementaire, les délais conventionnels dans lesquels la consultation du CSE intervient, afin de favoriser la reprise rapide de l’activité économique dans des conditions protectrices pour les salariés ».

Sur le site web du ministère, à propos de cette ordonnance limitant les droits du CSE, on lit ceci : « Dans un certain nombre de situations (…), l’employeur peut informer le CSE concomitamment à sa décision (…) L’avis du CSE est alors rendu dans le délai d’un mois à compter de cette information et peut intervenir après que l’employeur a mis en œuvre sa décision. »

Je suis perplexe : est-ce bien raisonnable de légiférer ainsi, c’est-à-dire de permettre à l’employeur de décider unilatéralement d’une action en se privant de l’avis éclairé du CSE, qui ne pourrait, pourtant, qu’enrichir celle-ci, ne serait-ce que par les questions posées et les remarques des délégués ? Et faire rendre un avis sur une décision déjà prise et déjà appliquée, n’est-ce pas invalider – et durablement – l’idée même d’une consultation ?

J’aimerais comprendre pour quelles raisons, de logique ou d’efficacité, la crise sanitaire inédite que nous subissons conduirait au besoin de suspendre le dialogue social dans les entreprises et de ré-instituer des pratiques décisionnelles autoritaires. Le bon sens plaide plutôt en sens inverse : c’est au moment où il faut inventer de nouvelles manières de se réunir, de s’organiser, de commercialiser, etc., que mobiliser l’intelligence collective et impliquer tous les acteurs de l’entreprise dans le redémarrage de notre économie s’avère le meilleur outil…

D’ailleurs, cela a été dit, et dans les mêmes termes que les miens, par… Mme Pénicaud !  « Les ordonnances travail que j’ai eues l’honneur de porter en septembre 2017 », déclarait-elle lors de la journée  « Les réussites du dialogue social », le 28 juin dernier, « font le pari d’un changement culturel : celui que la France peut passer d’un droit social administré d’en haut à un droit social co-construit sur le terrain, par le dialogue social dans les entreprises et les branches. »

Devant l’Assemblée nationale le 21 novembre 2017, en présentant les ordonnances sur le travail Mme Pénicaud avait évoqué un « impératif » : « Celui de croire viscéralement en la capacité du “nous”, c’est-à-dire de l’intelligence collective à trouver des solutions adaptées à ses aspirations. » Elle poursuivait  ainsi : « La réussite pérenne de nos entreprises (…) est aussi intrinsèquement liée à leur capacité à développer un dialogue social de qualité, dans lequel les salariés qui veulent avoir leur mot à dire pourront pleinement s’exprimer notamment à travers leurs représentants élus et les organisations syndicales qui sont engagés et compétents. »

Ce « dialogue social de qualité » de 2017 ne serait donc qu’un luxe pour temps calme, un gadget, dont il faut se débarrasser, en 2020, à la première bourrasque – fut-elle une brutale pandémie ?

Il y a les mots, et il y a les faits. Quand entre eux le divorce est à ce point consommé, il y a malaise. Laurent Berger pointe ce matin avec raison l’enjeu de la période : motiver et redonner confiance aux salariés. Faire fi de leur droit constitutionnel à la négociation collective et ignorer superbement leurs représentants ne va guère dans ce sens.

1 Comment

  1. Madame la Ministre introduit un coin dans la négociation collective mais réduit-elle pour autant le dialogue social.
    Les élus du CSE peuvent toujours prendre l’initiative de proposer des aménagements à l’organisation du travail et aux conditions de travail. Est-ce au gouvernement d’enjoindre les partenaires sociaux au dialogue social. Je ne le crois pas.
    La prise de responsabilité doit être forte en la période, c’est à cette condition, comme le montre le pacte régional en Centre Val de Loire que le dialogue et la négociation sortiront gagnants.

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