« La crise du travail est une crise de la régulation ». À propos des Assises du Travail (Martin Richer)

(Je reproduis ci-dessous et dans le billet suivant, l’article de Martin Richer, animateur-fondateur du cabinet Management & RSE, membre du Conseil d’administration et contributeur de Terra Nova, publié sur son blog le 9 mars dernier (lire ici). Il fait à la fois le récit de la première journée des Assises sur le Travail, dont le rapport des deux garants, Sophie Thiéry et Jean-Dominique Senard, a été remis ce lundi 24 avril au ministre du Travail, M. Olivier Dussopt, et propose une solide analyse pour inscrire leurs propositions dans un schéma articulé de régulation sociale. Je remercie Martin Richer pour son aimable autorisation de reproduction).

***

«Toute organisation se régule selon quatre boucles de dialogue, qui organisent la résolution des différences de points de vue, recherchent l’adhésion et le consentement des acteurs sociaux et diffusent les compromis ou les conclusions auxquels ils sont parvenus. Chacune de ces boucles de dialogue (ou de régulation) gagneraient à mieux prendre en compte le travail réel et les apports de la RSE. Sur ce chemin escarpé, les échos des Assises du Travail nous suggèrent quelques pistes d’action. Elles seront utiles si elles poursuivent le chemin entamé par la loi PACTE et permettent de remettre le travail au cœur de l’entreprise, c’est-à-dire de commencer à résorber la crise du travail (voir mon article Les Assises du Travail : vers une refondation du rapport au travail ; lire ici)

La crise du travail pose un défi majeur aux dirigeants d’entreprise et aux managers. Elle se matérialise par l’arrêt des progrès sur chacun des 3 P du développement durable :

  • Profit : arrêt des gains de productivité, au point que les économistes théorisent la stagnation séculaire » (voir les controverses initiées par Alvin Hansen, Larry Summers, Paul Krugman, Robert Gordon) ;
  • People : panne de l’engagement des hommes vis-à-vis de l’entreprise (souvent) et du travail (parfois), qui se traduit par un délitement des liens sociaux et diverses manifestations de ce que l’on appelle « la souffrance au travail » ;
  • Planet : essoufflement d’un modèle de croissance qui trouve ses limites physiques et économiques.

Mais « remettre le travail au cœur de l’entreprise » est une formule creuse, voire un vœu pieu, maintes fois rabâché. Comment cela se passe-t-il dans la vraie vie des organisations ? Pour répondre à cette question, il faut faire appel à l’un des plus brillants sociologues français, Jean-Daniel Reynaud, et à sa théorie de la régulation sociale. Il la définissait comme « l’activité qui consiste à créer, et mettre à jour les règles au cœur de la relation de travail ». Il précisait que « ce qui permet l’accord dans une négociation sociale, c’est rarement la découverte d’une solution pleinement satisfaisante, mais plus généralement la capacité de faire une anticipation commune » (lire ici et ici). La négociation est ainsi vue comme un pari sur l’avenir (voir l’étymologie du terme « compromis », du latin cum promissus, « avec promesses »).

En m’appuyant sur l’approche de Jean-Daniel Reynaud, je propose de modéliser le fonctionnement de toute organisation par quatre boucles de régulation, ou boucles de dialogue, plus ou moins formelles, qui interagissent et constituent son mode de régulation sociale : le dialogue managérial, le dialogue social, le dialogue professionnel et le dialogue informel.

Ce que l’on appelle « crise du travail » provient du caractère systémique de la transformation profonde de ces quatre boucles de régulation : chacune d’entre elles se trouve en crise du fait de l’éloignement du travail et ses dysfonctionnements empêchent les autres de se dérouler harmonieusement. Par exemple, si le travail ne nourrit pas le dialogue professionnel, ce dernier n’alimente plus le dialogue social, qui de ce fait se politise et devient un combat d’appareils, ni n’alimente le dialogue managérial, qui se transforme ainsi en exercice formel de « relevé des compteurs » au lieu de soutenir la performance individuelle et collective.

Autre exemple : si le dialogue managérial reste d’inspiration taylorienne (vertical et descendant), alors même que les dirigeants de cette entreprise vantent l’autonomie, l’audace et l’initiative, alors le dialogue social a toutes les chances d’être écrasé (élimination ou marginalisation des corps intermédiaires) et le dialogue professionnel ne dispose plus d’espace pour s’exprimer ou est réduit à un simple exercice formel.

 J’insiste sur ce point parce qu’il constitue un nœud difficile à desserrer dans les entreprises. Beaucoup de directions concentrent leurs efforts sur l’une des boucles de régulation. Or, la crise du travail est systémique car les dysfonctionnements de chacune d’entre elles amplifient ceux des autres. Il faut donc ouvrir un chantier plus large, qui intègre les quatre boucles de dialogue en partant des attentes du terrain : il faut réparer la régulation de l’entreprise.

Reprenons chacune de ces quatre boucles de régulation pour

  • comprendre en quoi sa situation de crise constitue un handicap pour les organisations ;
  • faire émerger quelques moyens, en réponse à cette crise, afin de réinscrire le travail dans le quotidien ;

tout en faisant appel à quelques échos des échanges lors du lancement des Assises du Travail, le 2 décembre 2022 et des auditions auxquelles j’ai été invité.

  1. Le dialogue managérial (régulation régalienne et collaborative)

La ligne managériale est à la fois descendante (régulation régalienne) pour transmettre les consignes, les prescriptions du travail et ascendante (régulation collaborative) pour faire « remonter » les éléments d’ambiance (climat social), les diagnostics, les idées, de la part des collaborateurs ou des parties prenantes, les clients notamment.

Quelle crise ? Cette boucle de régulation connaît à la fois des transformations de long terme, qui proviennent des difficultés de sortie du taylorisme et des amplifications liées à la crise sanitaire (voir mon article : Transformation du management : la révolution de la confiance ; lire ici).  Le constat : les organisations pyramidales fonctionnant sur le « command & control » ne sont plus adaptées, ni à la société de la connaissance, ni à l’environnement VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu), qui caractérise les environnements de travail d’aujourd’hui. Le télétravail à marche forcée entamé début 2020 a accéléré l’obsolescence de ces organisations verticales.

À cela s’ajoutent de fortes difficultés à recruter, déjà présentes dans quelques professions avant la crise sanitaire, mais qui se sont fortement étendues avec la reprise post-Covid. Elles ne concernent pas seulement ceux que les entreprises désignent comme les acteurs de la « guerre des talents », c’est-à-dire les plus diplômés. Lors des Assises, Éric Chevée, vice-président de la CPME, chargé des affaires sociales et de la formation, a mis en avant le fait que « sur les 20 métiers les plus pénuriques de [son] département, 18 sont des métiers peu qualifiés ».

Quelles issues ?

La demande de flexibilité, pas toujours satisfaite concernant le télétravail, a été identifiée par plusieurs participants comme une réponse à ces difficultés de recrutement et à cette insatisfaction vis-à-vis du management. En effet, plusieurs baromètres ont montré que beaucoup de salariés, notamment les jeunes, se détournent des entreprises qui empêchent le télétravail ou veulent l’enserrer dans des contraintes rigides. Mais cette demande de flexibilité est plus large : elle concerne les lieux de travail, les possibilités de maîtriser l’ordonnancement de ses tâches, la respiration recherchée sur la journée de travail mais aussi sur la vie professionnelle.

Derrière cette demande de flexibilité, il y a donc la question de la banque des temps (appellation CFDT) ou du CETU (compte épargne temps universel, appellation administrative), qui devrait faire son retour dans le débat. Elle propose en effet des outils concrets pour doser son investissement travail en fonction des envies et des besoins des collaborateurs comme l’arrivée d’un enfant, la maladie d’un parent, etc. Le CPA (compte personnel d’activité), qui a disparu dans les arbitrages d’un nouveau quinquennat en 2017, renaîtra un jour de ses cendres, tant est grande sa pertinence vis-à-vis des enjeux de demain.

Un autre facteur explicatif des difficultés de recrutement, peu abordé par les Assises, est la mauvaise qualité des conditions de travail. Lors de son audition au Sénat fin janvier 2023, Coralie Perez, socio-économiste et ingénieure de recherche à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur avec Thomas Coutrot de Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire (La République des idées, Seuil, 2022) a posé pour hypothèse que les difficultés de recrutement et la démotivation des salariés proviennent pour l’essentiel des conditions de travail dégradées, que des hausses de salaire ne suffiraient plus à compenser. La boucle de régulation managériale joue un rôle essentiel dans ce domaine. Le rapport Bien-être et efficacité au travail, remis au Premier ministre de l’époque, François Fillon, le 17 février 2010 et réalisé par Muriel Pénicaud, qui était directrice générale en charge des ressources humaines de Danone, Henri Lachmann, qui présidait le conseil de surveillance de Schneider Electric, et Christian Larose (CGT), à l’époque vice-président du Conseil économique, social et environnemental, l’avait très bien montré ; il proposait dix mesures concrètes impliquant fortement les managers de proximité. « La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas : les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé, » affirmait le rapport (voir mon analyse, Bien-être et efficacité : pour une politique de qualité de vie au travail, Note Terra Nova, lire ici).

Les politiques qui avaient commandé le rapport l’ont immédiatement propulsé vers les oubliettes. Mais fort heureusement, certaines entreprises se sont intéressées à ces propositions pragmatiques et utiles, qu’il n’est pas trop tard d’exhumer, treize ans après leur formulation !

Car la France n’a guère progressé ces dernières années sur le front de la santé au travail. Florence Bénichoux, médecin et préventeur, a marqué ces Assises par une intervention forte et sans concession. Elle s’est présentée comme citoyenne, médecin mais surtout préventeur, en insistant sur le fait que « en tant que médecin on ne nous apprend pas la prévention », tout en se félicitant que ce terme ait désormais intégré l’intitulé du ministère « de la Santé et de la Prévention ». Au dernier pointage réalisé par l’OCDE en novembre 2016, la prévention ne représentait que moins de 2 % des dépenses générales de santé en France contre 3 % pour la moyenne de l’Union européenne. Éric Chevée de la CPME, a indiqué lors des Assises que sur les 14 milliards d’euros que représente le coût de la branche maladie et les contributions ATMP des entreprises, seulement 100 millions sont consacrés à la prévention… Ce qui amène à une proportion plus faible encore (0,7 %). Florence Bénichoux pointe la relative insouciance des politiques publiques françaises autour de la santé au travail, en faisant remarquer que « Nous avons deux fois plus de morts au travail en France qu’en Allemagne alors que nous avons trois fois moins d’industrie ». Ce constat, qui est rarement formulé dans l’enceinte du ministère du Travail, devrait pourtant être à la racine du diagnostic et des mesures à prendre. On en trouvera quelques illustrations chiffrées dans mon récent article publié pour Metis par Le Comptoir de Malakoff Humanis (lire ici). Dans une interview au journal Le Figaro du 31 janvier 2023, le journaliste économique François Lenglet mentionne ce qu’il qualifie d’« élément objectif troublant », à savoir « les statistiques sur les accidents du travail, qui placent la France au plus haut dans le classement européen, avec des chiffres deux fois supérieurs à la moyenne européenne ».

Bien que les comparaisons européennes soient délicates dans ce domaine, la position de la France n’en reste pas moins alarmante. D’après Eurostat, il y avait en France en 2018 davantage d’accidents mortels du travail que dans tout autre pays d’Europe. La France a connu 615 victimes contre 523 en Italie, 397 en Allemagne, 323 en Espagne et 249 au Royaume-Uni. Avec environ 650.000 accidents indemnisés chaque année, soit une fréquence de 34 pour mille salariés, le nombre d’accidents et son taux de fréquence stagnent depuis le début des années 2010 après avoir connu une longue période de baisse. Le nombre de morts évolue autour de 550 par an, avec un pic à 733 en 2019, explicable en partie par un nouveau mode de calcul. Selon une étude de la DARES publiée en 2016, les ouvriers représentaient deux tiers du total des accidents du travail en 2012 et également deux tiers des accidents mortels.

À ces statistiques, on peut ajouter les accidents de trajet (notamment entre le domicile et le lieu de travail) et les décès attribués à des maladies professionnelles. En les intégrant dans le total, on dénombrait, en 2019, 1264 décès liés au travail parmi des salariés ou anciens salariés du secteur privé. Un décompte forcément sous-estimé puisqu’il n’inclut ni les fonctionnaires ni les indépendants, et qu’une part inestimable des accidents subis par des salariés ne sont pas déclarés. Pour se représenter l’ampleur de ce qu’il faut bien appeler un fait de société, on peut se tourner vers une enquête publiée par l’Insee en 2013, qui constatait qu’« une personne sur quatre a été blessée au travail au cours de sa carrière ». Un quart de ces victimes disaient « en conserver une gêne dans leur quotidien ». ( …)

Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT, a rappelé que l’ANI (accord national interprofessionnel) du 9 décembre 2020 a acté le remplacement de l’acronyme QVT par QVCT, pour bien ancrer le fait qu’il s’agit de s’intéresser à la qualité de vie et aux conditions de travail. Notons d’ailleurs que la loi visant à renforcer la prévention autour de la santé au travail du 2 août 2021, issue de l’ANI du 10 décembre 2021, a repris ce terme. Ce changement d’acronyme est bienvenu car il acte la niaiserie du modèle du « bonheur au travail » ou du « chief happiness officer », qui prétend changer le travail par des tables de ping-pong, des massages et des pique-niques collaboratifs, alors qu’il ne fait que le contourner. Et pourtant, facteur d’étonnement, à part les représentants des syndicats de salariés, ceux des organisations patronales comme ceux de l’Etat ont continué, lors des Assises, à utiliser imperturbablement l’acronyme QVT, ignorant la signature de l’accord.

L’éloignement du travail nous ramène au débat sur la réforme des retraites qui, depuis de nombreuses années, refuse d’envisager frontalement (c’est-à-dire autrement que comme une compensation) la question de la pénibilité. Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT est revenu tout récemment sur ce point : « Aujourd’hui, face à l’insatisfaction qu’ils ressentent vis-à-vis de leur travail, les salariés ne voient pas l’intérêt de travailler plus, mais souhaiteraient travailler mieux. (…) On ne s’est pas vraiment donné les moyens de bien apprécier la pénibilité. Quand la mesure était individuelle, comme prévu par la réforme Touraine, on nous disait que c’est impossible à gérer parce que cela nécessite trop de mesures. Nous avons alors retravaillé sur la question et proposé de raisonner par branche, en s’adossant aux codes risques, qui mesurent les fréquences et gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles, et présentent l’avantage d’être déjà calculées par l’Assurance maladie. Mais là, on nous dit que c’est trop général. Trop individuel ou trop général ? On a vraiment l’impression que tout le monde n’est pas prêt à avancer sur le sujet « 

La prise en compte de la pénibilité est pourtant essentielle vis-à-vis des mutations du travail. L’économiste Christine Ehrel, co-auteur d’un rapport remis au ministère du travail sur les travailleurs dits « de seconde ligne » explique que l’un des faits qui l’a interpellée est que ces travailleurs connaissent des conditions de travail difficiles et des horaires atypiques mais aussi très peu de mobilité, donc de façon de faire carrière. Un point commun qui les réunit est qu’ils ne se voient pas faire ce métier jusqu’à leur retraite.

Quant à la problématique de l’emploi des seniors, sur laquelle le gouvernement se refuse à faire peser sur les entreprises des obligations au-delà d’un simple reporting (l’index senior, rejeté par les députés en première lecture mi-février 2023), pourquoi ne pas l’avoir traitée avant de s’attaquer à la réforme des retraites ? Le gouvernement admet pourtant le caractère socialement non responsable de la politique de bien des entreprises vis-à-vis des seniors. Dans une interview au Journal du Dimanche (9 octobre 2022), Olivier Dussopt, ministre du Travail explique que nos mauvais résultats en termes de taux d’activité des seniors « s’expliquent d’abord par des dispositifs qui peuvent être perçus par les employeurs comme des encouragements à se séparer des seniors. C’est le cas par exemple de la durée maximale d’indemnisation des chômeurs, qui à partir de 55 ans passe de 24 à 36 mois. S’il est légitime d’avoir des règles spécifiques, cette perspective peut être vue comme une voie de délestage ». « Délestage, » le mot est terrible. Comme le fait remarquer Jean-Marie Bergère, « Olivier Mériaux dans une tribune du Monde du 25 janvier (lire ici) qualifie de « jeu de dupe » cette focalisation sur l’âge de départ en l’absence de résultats tangibles en matière d’emploi des seniors. Et en l’absence de prise en compte de l’ensemble des parcours professionnels, est-on tenté d’ajouter. Un nombre d’annuités de cotisation n’en dit pas tout ».

Dans une tribune à l’hebdomadaire Challenges (29 septembre 2022), l’économiste Jean Hervé Lorenzi montre que le problème de la France est un taux d’activité des seniors très bas, 56 %, alors que presque tous les autres pays sont aux alentours de 70 %. D’après ses calculs, il suffirait de porter ce taux à 66 % d’ici 2032 pour ramener au travail 825 000 seniors, ce qui rapporterait 48 milliards d’euros dans les caisses de l’État et suffirait largement à résoudre le problème de l’équilibre des caisses de retraite.

Au-delà du bruit et de la fureur qui ont émaillé le débat autour de la réforme des retraites, un véritable scandale a été mis en place par le gouvernement dans l’indifférence et le silence des principaux commentateurs et médias. Alors que ce débat montre l’importance de mieux prendre en compte la pénibilité et d’investir davantage dans l’amélioration des conditions de travail, le gouvernement a mis au point un tour de passe-passe budgétaire qui va dans l’exact sens contraire. Il a décidé par décret, sans aucun débat public et contradictoire, une augmentation des cotisations patronales vieillesse compensées par une diminution équivalente des cotisations des entreprises à la branche accident du travail. En d’autres termes, pour financer le déficit prévu des retraites lié à sa politique de gribouille, le gouvernement affaiblit les capacités financières permettant d’investir dans le sens de la durabilité du travail par l’amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels.

Malgré les alertes, le gouvernement persiste à refuser de prendre en compte les coûts cachés de la réforme dus à la pénibilité et aux phénomènes d’exclusion de l’emploi. Selon les estimations de la DREES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) de janvier 2023, un passage de 62 à 64 ans en 2019 se serait ainsi traduit par un surcoût de 3,6 milliards d’euros en prestations sociales, dont 970 millions supplémentaires en arrêts de travail. Les pensions d’invalidité pour les salariés usés par des métiers pénibles auraient quant à elles explosé de 1,8 milliard d’euros, avec 160 000 bénéficiaires de plus. Dans le passé, on a constaté l’envolée du coût des arrêts maladie avec la retraite à 62 ans : en quatre ans, il a crû de plus de 13 %. L’essor du taux d’activité des plus de 60 ans se traduit par des arrêts plus longs et mieux indemnisés.

Des dépenses auxquelles il faut ajouter le surcoût pour l’assurance-chômage. Et ce d’autant plus que le gouvernement a choisi de bâtir sa réforme sur une hypothèse optimiste de 4,5 % de chômeurs à long terme, quand le COR (Conseil d’orientation des retraites) tablait plutôt sur 7 %. C’est loin d’être un détail : avec 7 % de chômeurs, le déficit (hors réforme) du système de retraite pour 2030 n’est plus de 13,5 milliards d’euros, mais de 19,5 milliards. Un trou de 6 milliards que l’exécutif n’a pas prévu de combler].

Autre aspect, qui n’a pas été abordé aux Assises alors qu’il pèse de plus en plus sur les conditions de travail et la pénibilité est ce que j’appelle la fatigue organisationnelle. C’est une fatigue qui n’est pas due à l’effort physique mais aux changements incessants, plus ou moins bien préparés, en général non concertés, qui s’imposent aux salariés sans qu’ils en voient le bout et le bénéfice. À peine installés, d’autres changements prennent la suite ou, plus exactement, se superposent aux précédents et contribuent à brouiller les repères et à créer une difficulté permanente à situer son travail dans le paysage sans cesse mouvant des organisations, des responsables, des priorités, dont aucun ne semble compter vraiment. Ce « changement moonwalk » donne l’illusion du mouvement tout en conservant une position parfaitement stationnaire vis-à-vis du travail. Il se traduit par une contrainte de reconnection permanente du travail, un effort invisible aux yeux du management, qui le confond souvent avec la fameuse « résistance au changement » et peut dans certaines conditions se transformer en souffrance. La régulation managériale est bien en peine d’y apporter des réponses crédibles aujourd’hui.

(Suite de l’article dans le billet suivant)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s