(I) Rapport d’évaluation des ordonnances sur le travail de 2017. L’avant-propos des deux co-présidents …

(Quatre ans après sa mise en place, le comité d’évaluation des ordonnances sur le travail de septembre 2017 a publié son rapport final. Il a été présenté à la presse ce jeudi 16/12 après-midi dans les locaux de France Stratégie. Je reproduis ci-dessous, dans ce premier billet, L’avant-propos signé des deux co-présidents du CEO, Marcel Grignard et Jean-François Pillard)

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« Évaluer les effets des ordonnances de 2017 est une gageure, tant le spectre couvert est large et tant la difficulté est grande d’isoler leur impact spécifique parmi la multitude de facteurs qui influent sur la vie économique et sociale de centaines de milliers d’entreprises et de millions de salariés. Il est vite apparu au comité que cette évaluation ne pouvait se résumer à manier des ensembles de données ou à mesurer un niveau d’application des nouvelles règles. En l’occurrence, s’agissant de dialogue social, il faut aussi examiner l’évolution des relations « salariés/représentants des salariés/ employeurs », ce qui a conduit le comité à essayer de mieux cerner ce que sont les processus rassemblés sous le terme « dialogue social » et à s’interroger sur les indicateurs permettant d’apprécier la qualité de ce dialogue. Un travail dont l’utilité va au- delà de l’exercice d’évaluation proprement dit.

Conformément à la lettre de mission nous confiant la co-présidence du comité, nous avons veillé à fournir un travail d’évaluation à la fois pertinent, de qualité et non partisan, alors que les ordonnances impactent très différemment employeurs et représentants des
salariés – ce dont témoignent leurs appréciations contrastées des ordonnances et de leurs effets. Dès que la ministre du Travail nous a confié cette mission et en accord avec elle, nous avons voulu que notre travail permette aussi d’apprécier les tendances qui résultent de la mise en œuvre des ordonnances, afin d’alerter pouvoirs publics et acteurs concernés. Cela nous a conduits, en prenant appui sur le travail du comité et en plus de celui-ci, à réaliser entretiens et auditions… tout au long de ces quatre années. Nous avons, en particulier dans la dernière période et à la demande du ministère, tenté de cerner quelques caractéristiques du dialogue social pendant la crise du Covid.

Le présent rapport, le quatrième du comité, rend compte de son travail et, sans nier les limites de l’exercice d’évaluation, propose un regard nuancé sur une mise en œuvre des ordonnances dans un paysage complexe. Les ordonnances n’ont pas, par miracle et à elles seules, créé la dynamique d’un dialogue social qui souffrait déjà en amont de bien des maux que le statu quo ne pouvait qu’empirer.

Par l’ensemble des informations qu’il réunit, le rapport éclaire les enjeux et alerte sur la réalité du dialogue social. Il met aussi en évidence le besoin de poursuivre le travail d’évaluation dans des propositions ouvertes à la discussion. Il appartiendra aux pouvoirs
publics, en concertation avec les partenaires sociaux, d’en décider le cadre.
Comme l’ont montré les rapports précédents1, les ordonnances ont bousculé les acteurs du dialogue social. Puis ceux-ci ont dû faire face aux contraintes de la crise du Covid qui a percuté les conditions de mise en œuvre de ces ordonnances. Ce qui nous semble
marquant dans la première phase de la crise sanitaire, c’est la capacité qu’ont montrée entrepreneurs, élus et délégués syndicaux dans des entreprises – mais pas seulement – de faire de leurs échanges un moyen efficace pour bâtir et valider des solutions dans l’urgence imposée par une crise inédite. Les procédures et le formalisme ont été relégués au profit des solutions. Preuve s’il en est que des relations plus coopératives sont possibles, indépendamment du cadre légal. Mais si l’intensité du dialogue pendant la crise du Covid a contribué à améliorer les relations entre dirigeants, secrétaires des comités sociaux et économiques (CSE), délégués syndicaux, etc., elle a rendu plus compliqué le travail des élus entre eux et plus difficiles leurs relations avec les salariés.
Avec la mise en place du CSE qui a bousculé l’ordonnancement antérieur, la crise du Covid confirme la difficulté de la mission des représentants des salariés. Un sentiment
de fatigue fréquemment mis en avant par des élus – mais aussi par des responsables de ressources humaines – conduisant certains au désengagement, voire à la démission, et interrogeant sur la capacité à présenter des listes aux prochaines élections, alors qu’il faudra assurer un renouvellement générationnel.

Numérique, environnement, responsabilité sociétale… Les entreprises sont confrontées à des défis majeurs et le dialogue social devrait constituer un levier pour aborder les transformations qui impactent l’emploi, les compétences, l’organisation et la compétitivité. Cependant, les possibilités ouvertes – en négociant l’agenda social, en adaptant le cadre du dialogue économique, etc. – pour rendre ce dialogue social plus efficace sont très peu utilisées. Les accords de performance collective (APC) sont mobilisés dans des approches très diverses. Des entreprises abordent la négociation en misant sur la montée en compétences et l’implication des salariés, en faisant la transparence sur les questions économiques et stratégiques. Pour d’autres, l’objet se limite à la réduction du coût du travail dans des conditions de négociations et d’informations économiques discutables.
Les utilisations dommageables – pouvant notamment viser à réduire la portée de conventions collectives – pour les salariés et pour les entreprises délégitiment ce dispositif.
La mise en œuvre des ordonnances n’a pas réglé par magie les problèmes qui limitent la diffusion et l’efficacité du dialogue social. Si elle a simplifié des process, elle a pu aussi, sur plusieurs aspects, les rendre plus compliqués, plus institutionnels, ce qui conduit des entreprises à renégocier les modalités d’application – mais c’est pour l’instant loin d’être une généralité.

Au-delà des constats pointés dans le rapport, il faut s’interroger et agir sur les causes qui handicapent le dialogue social. Certaines n’ont été abordées ni par les ordonnances ni par les réformes qui ont précédé.

Au fil du temps, l’empilement des prérogatives et la complexité des problèmes à traiter rendent de plus en plus compliquée la mission des élus, ne facilitent pas le travail des directions attachées à faire vivre le dialogue social et poussent au formalisme le travail des instances de représentation et à l’inefficacité un dialogue social qui s’éloigne des salariés. C’est un paradoxe de la traduction d’une réforme dont l’objet est de décentraliser le dialogue au plus près de là où se posent les problèmes : bon nombre d’entreprises à établissements multiples ont choisi au contraire de le centraliser, semblant ignorer l’enjeu clé de la proximité.

Parallèlement, on voit s’affirmer le souhait des salariés d’être associés aux réflexions sur tout ce qui touche à leur travail et aux décisions qui vont les impacter. Ce souhait trouve un début de prise en compte positif dans des formes de dialogue piloté par le management. Si cette approche n’est pas articulée avec le dialogue social institutionnel, elle l’affaiblira un peu plus.

En décidant d’une évaluation autonome des ordonnances de 2017, le gouvernement a posé un acte important dont la portée dépendra de l’utilisation qui sera faite de ses enseignements. Nous avons suggéré à la ministre du Travail de réunir les partenaires sociaux afin que l’ensemble des acteurs concernés, en prenant appui sur les travaux d’évaluation, décident des objectifs et des chantiers à conduire pour dépasser les limites et les difficultés mises en évidence, et remédier aux faiblesses des accompagnements de mise en œuvre.
Il serait vital, dans chaque entreprise, de s’interroger sur les causes conduisant aux constats dressés par ce rapport ; d’établir un état des lieux partagé sur le fonctionnement des instances, la relation avec les salariés, l’efficacité et l’utilité du dialogue social…

Nous sommes au milieu du gué, c’est l’instant d’agir pour assurer à ce dialogue social un avenir à la hauteur des défis de nos sociétés. L’implication des membres du comité tout au long du processus a été un facteur de qualité et de pertinence de nos travaux. L’apport des administrations a été essentiel. L’équipe de France Stratégie a assuré un travail solide dans un esprit d’ouverture et de coopération, veillant à l’autonomie dans la conduite des travaux. Qu’ils en soient tous remerciés. Sandrine Cazes qui coprésidait avec nous le comité jusqu’en septembre 2020 a été d’un apport irremplaçable dans notre mission. Cet avant-propos qui n’engage que les auteurs de ces lignes entend traduire l’intérêt que nous avons trouvé à mener cette mission et notre conviction qu’elle recouvre des enjeux essentiels pour les salariés et les entreprises.

Marcel Grignard et Jean François Pilliard, présidents du comité d’évaluation.

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