Il y a 130 ans, le 29 novembre 1891, les premières Conventions Collectives…

La convention minière dite d’Arras, discutée les 27 et 29 novembre 1891, est conclue entre les délégués du syndicat des mineurs et les représentants des compagnies minières. C’est un moment majeur de l’histoire de la négociation collective en France. Cette première convention collective naît dans un contexte de grèves minières. Le 25 octobre, lors de leur assemblée générale à Lens, les délégués du Pas-de-Calais décident de procéder à un vote à bulletins secrets pour décider ou non de la grève. Ce vote, raconte Annie Kuhnmunch dans un chapitre liminaire de l’ouvrage collectif Cent ans de conventions collectives. Arras 1891-1991, et dont je reproduis ci-dessous quelques extraits, se déroule dans toutes les communes minières du département.

« Sur 19 008 votants, 12 183 sont pour la grève. Le 8 novembre, les délégués se réunissent à nouveau et optent pour le déclenchement d’une grève générale dans les compagnies minières qui refuseraient leurs revendications : répartition plus équitable des salaires avec une moyenne de 5,60 F, plus la prime de 20 % pour les ouvriers travaillant à la veine et une augmentation de 50 centimes pour les autres ouvriers ; réorganisation des caisses de secours et de retraite ; fixation de la journée de travail à 8 heures ; réintégration des ouvriers congédiés pour faits de grève ou questions syndicales. Aux objections des représentants des 17 compagnies minières adhérant au Comité des Houillères, les délégués mineurs répondent par la grève générale, qui débute le 16 novembre.

Après l’intervention d’Émile Basly auprès du Président du Conseil des ministres et à l’initiative du préfet du Pas-de-Calais, Alapetite, une rencontre entre 5 représentants des compagnies minières et 5 représentants des ouvriers mineurs se tient à Arras, à l’hôtel de l’Univers, les 27 et 29 novembre 1891.

C’est à l’issue de cette réunion qu’est signée la Convention d’Arras qui entérine les premiers accords d’octobre 1889, mais aussi confirme le rôle du Comité des Houillères et la reconnaissance de l’existence légale du syndicat, comme le constate, dans son rapport daté du 30 novembre, le commissaire spécial de Lens, qui parle d’un “heureux dénouement”.

Dans ce même rapport, il fait le contenu du Congrès de Lens au cours duquel les représentants syndicaux présents à Arras dressent le bilan des résultats obtenus et proposent la reprise du travail, votée à l’unanimité. Pourtant, dans un autre rapport, daté du 4 décembre, le même commissaire mentionne que “la situation ouvrière n’est pas encore totalement déblayée”, ce qui tend à prouver que la satisfaction des mineurs n’est pas totale.

Très vite, en effet, le climat social va se détériorer, d’autant plus que les prix du charbon sont à la baisse, ce qui pousse certaines compagnies à diminuer les salaires. Une nouvelle grève éclate en 1983 ; elle se soldera par un échec, qui va interrompre la lutte. Celle-ci ne reprend qu’en 1898 et aboutit à une nouvelle Convention d ‘Arras, qui reprend le contenu de celle de 1981.

Ainsi cette première convention allait-elle servir de base aux accords successifs passés entre  les ouvriers mineurs et les compagnies minières au cours des années précédant la Première Guerre mondiale. Les conventions signées respectivement le 20 septembre 1898, les 14 avril et 25 octobre 1899 et le 31 octobre 1900, ne font essentiellement que majorer la prime accordée précédemment. Ce sera également le cas lors des conférences d’Arras du 31 octobre 1902, du 7 février 1903,  et 18 mars et 14 avril 1906, auxquelles font suite les entrevues d’Arras du 27 juin 1908, du 26 juin 1909, du 26 août 1912, des 8 janvier et 22 novembre 1913.

En dehors des négociations sur les salaires et sur leur répartition la plus équitable possible, ces rencontres ont permis de faire aboutir d’autres revendications : diminution du prix des loyers accordée en septembre 1898 ; majoration des pensions de retraite accordée en novembre 1902 ; publications régulières des données relatives aux salaires moyens des ouvriers mineurs, au rendement, aux salaires par tonne, à partir de février 1903 ; interruption des “longues coupes” en novembre 1913. (…)

Le bassin minier Nord/Pas-de-Calais va sortir profondément meurtri de la Première Guerre mondiale. Dès septembre 1914, le front s’installe au niveau de Lens, coupant le bassin minier en deux parties. (…à La région de Lens est particulièrement touchée ; aussi, à partir de 1921, les entrevues patronat-syndicat se tiendront non plus à Arras mais à Douai, qui est aussi le siège de la Chambre des Houillères. (…)

La reprise de la production et la hausse du prix de vente du charbon se font sans contrepartie proportionnelle sur le plan des salaires. Aussi des réclamations contre la vie chère, l’indemnité de vie chère étant jugée insuffisante, se font-elles entendre et trouvent leur aboutissement dans les grèves de 1919.

Durant cette année, représentants des compagnies et délégués des ouvriers mineurs se rencontrent à de nombreuses reprises. Ce sont tout d’abord les accords signés au ministère du Travail le 6 juin. Selon ces accords, la journée de travail sera de 8 heures, pause d’une demi-heure incluse ; les salaires de base seront augmentés d’1 F pour les ouvriers travaillant à la veine, de 0,75 F pour les autres ouvriers de plus de 18 ans et de 0,50 F pour ceux de moins de 18 ans ainsi que pour les femmes et les jeunes filles. Les compagnies s’engagent à ne procéder à aucun renvoi pour fait de grève.

Quelques jours plus tard, une sentence arbitrale est rendue par les ministres du Travail et de la reconstruction industrielle. Ils se prononcent pour une augmentation du salaire de base, l’octroi d’allocations-enfants et la fixation à 10 % de l’écart minimum entre le salaire de base effectivement gagné et le salaire de base établi par les précédents accords. »

***

« Les Conventions d’Arras n’ont rien d’une convention collective, telle que nous l’entendons de nos jours ». Ainsi débute le chapitre de Rolande Trempé, dans ce même ouvrage collectif  coordonné par Olivier Kourchid et Rolande Trempé, Cent ans de conventions collectives. Arras 1891-1991. « En fait » poursuit l’historienne, « elles ne sont rien d’autre que le procès-verbal des débats qui se sont déroulés les 27 et 29 novembre à Arras, sous la pression du gouvernement et sous l’égide du Préfet, entre les représentants des syndicats de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais et une partie des délégués des compagnies houillères de ces deux départements.

L’histoire de la grève de novembre 1891, qui a provoqué cette rencontre et de celle des négociations a été remarquablement étudiée par Marcel Gillet en 1957 (lire ici). Les discussions entre patrons et syndicalistes, longues et âpres, n’aboutirent somme toute qu’à un bilan assez maigre. Les sociétés houillères n’ont pris qu’un seul engagement ferme en accord avec les délégués ouvriers : le base des salaires de tous els ouvriers du fond serait définie en fonction des salaires payés pendant la période de 12 mois qui ont précédé le grève de 1899, qu’il y serait ajouté les deux primes de 10 % obtenues ultérieurement (en 1889 et 1890), pour un durée non définie (“le plus longtemps possible”, précise le procès-verbal).

C’est à cela que se réduisent les Conventions d’Arras. Les représentants patronaux ont en effet rejeté la demande d’augmentation générale des salaires, maintenu la pratique des prix faits, fixés par veine et invariables quelles que soient les variations des conditions d’abattage de la houille, au cours de l’exécution du travail. Ils ont également imposé l’autorité entière des porions chargés de fixer le prix de la tâche et de répartir les chantiers entre les piqueurs. En ces domaines, les délégués ouvriers n’ont obtenu que des promesses. Les compagnies, promettant de donner des instructions aux porions (“afin qu’aucune injustice dans la répartition du travail et des salaires” ne soit commise) et que les syndiqués ne soient victimes d’aucune discrimination. En cas d’abus, les intéressés pourront toujours avoir  recours à leur ingénieur, est-il précisé, ce dernier investi de tous les pouvoirs au nom de la société qui l’emploie.

Les patrons ont refusé avec énergie d’examiner la demande de fixation d’un salaire moyen pour tous els ouvriers du fond évalué par les grévistes à 5,50 F, plus 20 % de prime. Ils ont seulement pris “l’engagement moral d’inviter les chefs porions à tenir compte de ce prix moyen pour fixer le prix de la berline”. Ils ont également refusé d’envisager la réduction à 8 heures de la journée de travail. En ce qui concerne les problèmes soulevés par la gestion des caisses de secours, ils se sont retranchés derrière les débats parlementaires en cours et ils se sont contentés d’émettre un vœu en commun avec les délégués ouvriers pour que la loi soit votée le plus rapidement possible.

Le procès-verbal d’Arras n’est donc en rien une convention qui réglerait les conditions de travail, les modalités du salaire et de la discipline dans l’atelier. Dans tous ces domaines, les Conventions d’Arras enregistrent en fait la situation existante sur les chantiers de chaque compagnie ; grâce à ce statu quo, les sociétés minières ont sauvegardé leur autorité et imposé leur pouvoir. La seule contrepartie obtenue par les ouvriers est la reconnaissance implicite des syndicats. Et c’est cela qui explique le succès immédiat des Conventions d’Arras, comme le souligne Basly devant l’assemblée générale des mineurs : “La grève a abouti à ce résultat considérable que vous avez amené vos employeurs à traiter d’égal à égal avec vous et à mettre leurs signatures à côté de celles de vos représentants “

Ainsi le patronat minier a-t-il pour la première fois reconnu, officiellement en quelque sorte, la compétence et l’autorité des syndicats ; mais il ne l’a fait qu’à son corps défendant, sous la férule de l’État et du Parlement mis en alerte par la puissance du mouvement gréviste. Cela explique que les Conventions d’Arras soient le fruit, non d’un arbitrage, mais de la concertation tripartie du patronat, des syndicats et de l’État. Cette situation pèsera lourdement sur l’avenir de la corporation minière et sur la politique du syndicalisme des mineurs. »

1 Comment

  1. Une bonne idée ce rappel historique car cela permet de mieux comprendre les difficultés du développement de la négociation collective en France.

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