(Article de Pascal Lokiec) « Le charme apparent des accords de performance collective »

Pascal Lokiec, professeur à Paris 1 Sorbonne, a publié le 20 juin dernier une tribune dans le journal Libération (lire ici). Je reproduis ici l’essentiel de son propos :

Diminuer les salaires plutôt que perdre son emploi ! Alors que de nombreux emplois sont menacés, on peut comprendre que l’idée séduise, mettant sous le feu des projecteurs un dispositif resté jusqu’à présent dans l’anonymat. Depuis leur création en 2017, autour de 300 accords de performance collective ont été signés, ce qui est très peu comparé aux 35 000 accords d’entreprise conclus chaque année. (…)

L’accord de performance collective est un outil juridique très puissant qui peut s’avérer redoutable pour les salariés s’il n’est pas négocié dans des conditions équitables. Il permet en effet d’organiser la mobilité géographique et fonctionnelle des salariés, de modifier la durée du travail et surtout leur rémunération, et de très facilement licencier ceux qui refuseraient. Le licenciement est présumé justifié, sans contestation possible devant un juge, et la législation protectrice sur les licenciements économiques ne s’applique pas.

À première vue, l’exigence d’un accord collectif a tout pour rassurer ! Même si personne n’aimerait être à la place de représentants syndicaux qui vont devoir acter une baisse de salaire pour une durée qui peut être indéterminée, on peut se dire que les syndicats ne signeront pas si le résultat est déséquilibré. On voit ici se dérouler devant nous, dans un contexte exacerbé puisque les négociations vont se faire sous le couperet de menaces sur l’emploi (ce qu’on résume parfois sous l’expression « chantage à l’emploi »), la nouvelle philosophie du droit français du travail: « qui dit conventionnel dit juste » ! Autrement dit, on fait le pari que le produit de la négociation collective sera juste, sans que la loi et le juge aient leur mot à dire, ou presque. L’unique article du code du travail sur les accords de performance collective se contente ainsi d’exiger que soit précisé l’objectif de l’accord (le bon fonctionnement de l’entreprise, la sauvegarde ou la création d’emplois) et que les rémunérations ne passent pas en dessous du salaire minimum. Pour le reste, tout peut être prévu : une augmentation du temps de travail sans hausse de salaire, une baisse directe de salaire, la diminution et la suppression des primes, ou encore une augmentation de la part variable de la rémunération, ce qui en période de crise, aboutira de fait à baisser la rémunération des salariés.

Là se trouve la faille de tout un modèle qui, au nom d’une philosophie vertueuse consistant à faire primer le droit négocié sur le droit imposé, a fait de l’accord d’entreprise la pierre angulaire du droit du travail. Philosophie dont les accords de performance collective constituent aujourd’hui le prototype le plus abouti ! Il est urgent de corriger le modèle, en introduisant, comme c’est le cas pour l’extension des conventions collectives de branche, un système de clauses obligatoires. Cela devrait signifier, dans le cas des accords de performance collective, la présence systématique de trois séries de clauses  : un engagement de maintien de l’emploi (sauf fait imputable au salarié bien entendu) pour une durée expressément définie par l’accord ; une clause de retour à meilleure fortune qui remet les compteurs à zéro en cas d’amélioration sensible de la situation économique de l’entreprise ; et l’engagement des actionnaires et dirigeants de faire des efforts proportionnés à ceux imposés aux salariés.

Signe d’un passage au « tout négocié », ces clauses, qui étaient obligatoires dans les accords de maintien de l’emploi créés en 2013, sont devenues facultatives lors de la création en 2017 des accords de performance collective. Elles sont particulièrement nécessaires pour les négociations se déroulant dans les petites et moyennes entreprises où, faute généralement de représentants syndicaux, il incombera aux élus et souvent aux salariés eux-mêmes par le biais d’un référendum, d’opter ou non pour l’accord de performance collective. (…)

Derrière le recours aux accords de performance collective, il y a surtout le choix, qui pourrait tourner au dilemme dans nombre d’entreprises en difficultés, entre deux façons de gérer la crise : privilégier la voie directe des suppressions d’emploi (licenciements pour motif économique, avec ou sans plan de sauvegarde de l’emploi selon la taille de l’entreprise et le nombre de licenciements ; ruptures conventionnelles collectives) ou celle, plus escarpée, d’un aménagement à la baisse des conditions de travail dans le but de maintenir les emplois. Les entreprises qui privilégieront cette seconde voie pourraient aussi recourir au tout nouveau régime d’activité partielle spécifique qui permet de réduire le temps de travail avec une indemnisation de l’Etat pour les heures non travaillées. Point commun à tous ces dispositifs : le rôle central accordé à l’accord d’entreprise, soit pour ouvrir l’accès au dispositif (accords de performance collective, rupture conventionnelle collective), soit pour le rendre plus attractif (plan de sauvegarde de l’emploi ; activité partielle spécifique). Les syndicats seront donc bien les arbitres des choix cornéliens que vont avoir à faire les entreprises dans les semaines et mois à venir.

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