(III) Négociation collective et dialogue social. Utiliser tous les registres du dialogue social !

Partons de la définition du dialogue social proposée par l’OIT : « Tous types de négociation, consultation ou simplement d’échange d’information entre, ou avec les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, sur des problèmes d’intérêt commun relatifs aux politiques sociales et économiques ». Aux trois activités mentionnées dans cette définition (qui fait consensus) ajoutons, à la suite de Frédéric Brugeman et Bernard Gazier, « le paritarisme » et « la co-détermination » (lire ici), et « la concertation » – puisqu’en France, à la différence d’autres pays européens, nous la distinguons de la « consultation » (et cette forme est elle-même codifiée  – voir les articles L.2232 et suivants du code du travail).

Nous avons donc six modalités d’exercice de ce dialogue social, graduées selon le degré d’association des uns (les salariés et leurs représentants) à la décision de l’autre (l’employeur) : l’échange d’information, la consultation, la concertation, la gestion paritaire, la négociation collective et la co-détermination.  

Énonçons trois premiers constats à propos de ces six modalités de dialogue social.

Un, aucune d’entre elles n’est un quid pro quo, une chose pour une autre : elles ne sont pas interchangeables : consulter autrui n’est pas se concerter avec autrui, encore moins contracter ou gérer paritairement avec lui…

Deux, si ces six modalités peuvent être ordonnées selon le degré d’association aux décisions, rien ne conduit à invalider les modalités de faible association ou survaloriser celles de haute association : elles ont chacune leur pertinence dans des situations socio-productives précises…

Trois, les productions textuelles de ces six modalités sont différentes : certaines débouchent sur des synthèses, d’autres sur des relevés de décisions communes,  d’autres encore sur des accords juridiquement contraignants…

Tirons deux leçons pratiques de ces constats. La première est relative à l’usage, souvent restreint, de l’ensemble de ces modalités dans l’entreprise, en étendue et en intensité : ces six modes sont rarement mobilisés en totalité et ceux qui le sont ne voient pas tout leur potentiel utilisé. La seconde leçon concerne les situations socio-productives elles-mêmes (et les problèmes qu’elles génèrent) et l’appropriation de ces modalités d’association aux décisions nécessaires pour les traiter.

Un usage restreint, à généraliser. Rares sont les directions d’entreprise qui pratiquent le dialogue social ; nombreuses sont celles qui se conforment aux lois en vigueur à son sujet ; et cela fait toute la différence… Le dialogue social est d’abord un outil avant d’être une obligation légale. Plus exactement : une caisse à outils. Or certains de ses outils sont peu utilisés hors du cadre juridique – c’est le cas de la consultation du CSE, où son avis est requis dans des situations précises, qu’a détaillé le législateur – et leur utilisation est mécanique, peu innovante : il s’agit de demander un avis formel aux élus du personnel, moins pour enrichir le projet initial que pour satisfaire l’inspecteur du travail… Si la démarche des directions d’entreprise était t une démarche d’écoute et celle-ci devenant systématique, elles bénéficieraient d’une somme d’informations à laquelle la maîtrise de proximité a difficilement accès…Des modalités appropriées aux situations. Informer, consulter, se concerter, négocier, gérer en commun et décider en commun ont chacune une spécificité et une fonctionnalité. Prenons trois situations-types (proposées par l’ANACT dans son document de l’hiver 2019, Qualité de vie et performance au travail : des liens à renforcer (lire ici) et examinons la manière de les traiter en mobilisant les différents outils du dialogue social.  

Situation 1 : Unither est un groupe pharmaceutique, en forte croissance. Après l’expérimentation d’une action QVT en 2014 sur un seul site, la direction de cette entreprise souhaite élargir en 2019 cette démarche à l’ensemble des sites. Des groupes de travail sont créés pour identifier les situations caractéristiques d’une détérioration de la qualité de vie au travail ; 23 sont repérées. Des espaces de discussion, tels qu’envisagés par l’accord national interprofessionnel de 2013 sont mis en place et ces 23 situations-problèmes sont discutées, ainsi que la manière de les traiter. Le récit de l’ANACT de cette expérience a pour titre : « Une forte dose de discussion pour une performance durable »…

Situation 2 : Prayon est une PME du secteur de la chimie. La direction, en 2004, souhaite améliorer significativement les conditions de travail, l’organisation et le management des équipes, pour plus de flexibilité et d’optimisation. Trois instances sont créées : un comité de pilotage, un groupe projet et un comité de suivi de la démarche. Une première phase est consacrée au diagnostic ; la seconde s’attache à définir l’organisation-cible, redéfinir la fonction managériale et travailler sur les compétences requises dans cette nouvelle configuration socio-productive.

Situation 3 : Biz est une PME dans le secteur de la menuiserie-ébénisterie. La direction de l’entreprise, fidèle à ses engagements humanistes d’origine, souhaite s’appuyer sur la participation effective des salariés aux décisions et, pour cela, souhaite renouveler le mode de gouvernance et de concertation actuels (il y existe un « conseil d’entreprise », réunissant les 25 salariés, et un « open-café », réunion générale sans la présence des gérants). Après échanges et débats, trois nouvelles instances voient le jour : une direction collégiale, composée des deux dirigeants et de cinq salariés (dont trois sont élus par leurs pairs), se réunissant chaque semaine ; un conseil d’entreprise, regroupant tous les salariés, qui se réuni toutes les six semaines ; une réunion collective, chaque semaine, dédiée aux questions opérationnelles.

Ces trois situations socio-productives sont à la fois semblables par les objectifs recherchés (modifier une organisation de travail ou une gouvernance) et dissemblables par les réponses apportées. L’intérêt de mobiliser tous les outils du dialogue social (nos six modalités) réside ainsi dans leur degré d’appropriation aux situations : collecter des informations sur le réel du travail et de l’organisation ; ou discuter, débattre des situations-problèmes entre salariés et avec le management de proximité ; ou construire des diagnostics partagés ; ou s’accorder sur des pistes d’action possibles et sur des dispositifs organisationnels ou de gouvernance, etc.

Désignons la situation 1, Unither, comme celle d’une performance débattue – via des séquences d’identification de problèmes et des espaces de discussion ; la situation 2, Prayon, comme relevant d’une performance concertée, avec une délibération collective visant à enrichir la décision de l’employeur ; enfin, la situation 3, Biz, est celle d’une performance négociée, où la délibération collective est clairement dédiée à la prise conjointe de décisions (performance négociée).

Notons, pour conclure, que ces multiples modalités du dialogue social sont génératives : si se concerter avec un autrui permet d’engager une action coordonnée, donc hausser ses chances de succès ou son impact, la coopération entre deux volontés humaines ne laissent pas ces dernières indifférentes : des arguments ont été apportés, des objections ont été formulées, un apprentissage s’est opéré : aucun, aucune d’entre nous n’est tout à fait le/la même à l’issue d’un échange social ou d’une confrontation d’arguments…

Même générativité dans un processus de négociation : l’accord auquel les parties sont parvenues n’est pas seulement un contrat entre deux volontés autonomes d’où naissent des obligations réciproques ; il construit une alliance, authentifie une collaboration, exprime un effort conjoint de régulation.

Que cette coopération soit conflictuelle (ou que leur conflictualité soit coopérative) est plutôt positif : la « solidarité mécanique », indiquait Émile Durkheim, est fondé sur les similitudes entre les êtres, partageant les mêmes croyances, les mêmes sentiments communs. Il y a donc peu de différenciation  entre eux, pas de spécialisation – donc peu d’innovation. La « solidarité organique et contractuelle », elle, est fondée sur la différenciation – des tâches, des individus, des groupes sociaux, des valeurs et des croyances. De cette confrontation incessante naît le progrès technique et  humain (« Dans un groupe formé d’éléments nombreux et divers, il se produit sans cesse des réarrangements, qui sont autant de sources de nouveautés », De la division du travail social, préface).

Il y a ainsi, parmi les bonnes raisons de jouer dans l’entreprise toutes les cartes du dialogue social, de l’échange d’informations à la co-détermination, une très bonne raison de le faire : elles créent toutes, chacune dans sa singularité, des conditions propices à l’innovation et au déploiement de stratégies appropriées au développement de l’entreprise concernée…

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