Les formations conjointes en action : rentrée de la 15ième promotion du master « Négociations & relations sociales » à Paris-Dauphine…

Lundi 13 novembre, 9 h 30. Journée de rentrée d’un master à l’université de Paris-Dauphine. Sa responsable, Soazig Sarazain, accueille la quinzième promotion. Propos de bienvenue, énoncé des objectifs, programme des cours, modalités pratiques, règles de validation du diplôme, etc. : rien, semble-t-il, que de très ordinaire quand le ou la responsable du module, au premier jour de son enseignement, présente aux étudiants son format, sa substance et son calendrier.

Sauf qu’ici, au 10ème étage d’une tour du pôle d’enseignement Léonard de Vinci à Paris-La Défense, les « étudiants » sont des secrétaires de fédérations syndicales, des secrétaires de CSE centraux ou des responsables RH, tous chevronnés, et même aguerris. Ils sont seize à se présenter lors du tour de table, et chacun, chacune de relater brièvement son métier, son expérience, ses convictions.

Sauf que ce diplôme est le master créé par Gérard Taponat en 2008 (lire ici), que c’est le plus ancien dans le genre, et désormais le seul en France, à prétendre être, conjointement, : a) une formation conjointe (sont réunis, dans une même salle et pendant 15 mois, à raison de 2 à 3  jours par mois, des représentants d’employeurs et des représentants de salariés), b) une formation aux techniques de négociation collective (dite « raisonnée », ou « basée sur les intérêts, selon la terminologue québécoise), et c) une formation pluridisciplinaire, associant sciences de gestion, économie du travail et sociologie de l’entreprise, et en prise avec les enjeux du moment, de la digitalisation du travail à la transition écologique.

Sauf, enfin, que le travail demandé aux inscrits à ce programme est original : produire, « en équipage » (c’est-à-dire : par groupe de 3 à 4 personnes, associant RRH et syndicalistes), un mémoire de 60 pages présentant la construction et le déroulement d’un processus de négociation collective « imaginé » dans une entreprise (ou dans tout autre espace productif), se situant le plus proche du réel, et aboutissant à un accord collectif, lui-même « imaginé » mais dont les acteurs sociaux de l’entreprise-cible, qui aura servi de « cas d’école », pourraient tout à fait s’approprier.

Je suis le parrain de cette promotion 2023-2024 de ce master, succédant dans ce rôle à Jean-Denis Combrexelle et Gilles Gâteau. Un « parrain » de promotion, dans la vie académique, est un aidant, un facilitant ; il écoute, conseille, accompagne ; ce sont des tâches utiles, et qui vont aussi m’enrichir. Merci à Soazig Sarazain pour sa confiance.

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Même salle, une heure plus tard. Soazig Sarazain décline le programme d’enseignements. Bloc 1, bloc 2, bloc 3, etc., les intitulés sont développés, leur contenu explicité. On y trouve des items d’enseignement comme « La négociation, un art partagé de co-construction de diagnostic et de solutions », « Enjeux et conditions d’efficacité du négociateur », « Dialogue social et environnement », « Négociation sociale et interculturalité » « Enjeux de la négociation d’accords internationaux », etc. Il y en a 25 comme cela…  Certes, cette liste des items, impressionnante mais nécessaire, laisse augurer de l’étendue des connaissances que les inscrits devront assimiler (et des compétences à acquérir ou développer) qu’ils pourront mobiliser ensuite dans leurs métiers ou dans leurs missions. Mais tous sont motivés et mesurent combien le dispositif pédagogique qu’ils viennent d’intégrer, éprouvé et enrichi au fil du temps, managé avec rigueur, vigueur et douceur par Soazig Sarazain (voir ici le billet consacré à ce diplôme et à son cabinet, VoxNego), est une opportunité pour eux-mêmes, aux fins de maîtriser de nouvelles compétences et ouvrir leurs horizons, mais aussi pour les collectifs d’organisation dont ils sont les leaders, et plus encore pour les engagements sociaux et sociétaux qui sont les leurs.

« Vous êtes tous différents, de statuts et d’opinions, mais vous allez tous apprendre ensemble. » « Vous allez lever vos propres barrières. » « Vous allez disposer de nouveaux outils, apprendre à poser des diagnostics ou opérer des retours d’expérience. » « Vous allez établir votre propre plan de développement en tant que négociateur. » « Vous allez analyser des processus de mise en accord, apprendre à définir des stratégies de négociation ». Les phrases de Soazig s’enchaînent, convaincantes ; une dynamique prend forme. Se vérifie, une nouvelle fois, sous mes yeux, ce que j’écrivais dans la conclusion de l’article,  Enjeux sociaux et pratiques des formations conjointes à la négociation collective, paru fin 2018 dans la revue Gérer & comprendre (lire ici). J’y indiquais que « faire coopérer des acteurs sociaux aux intérêts et aux points de vue différents, non pas pour gommer ces différences, ou soumettre les intérêts et points de vue de l’un à ceux des autres, mais pour qu’ils résolvent ensemble, en mobilisant ces différences, des problèmes qui leur sont communs et qui les empêchent, s’ils demeurent non résolus, de poursuivre leurs propres cours d’action » participait, non seulement d’une régulation commune, salutaire car impliquant deux sources de règles – celle « d’en bas », venant des salariés, et celle « d’en haut », venant du management – mais aussi, et peut-être surtout, « d’une manière, concrète et originale, de faire société. »

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Tout va donc pour le mieux ? On se doute de ma réponse. Car le verre est à moitié plein ; et on peine à comprendre pourquoi ce dispositif de formation conjointe à la négociation collective, utile car performatif, fonctionnel car approprié, ne s’est toujours pas généralisé en France, alors qu’il existe depuis 1981 aux États-Unis, où il a été conçu et expérimenté ; depuis 1990 au Québec ; et que de nombreuses équipes syndicales et patronales y ont là-bas recours avant d’engager les re-négociations tri-annuelles de leurs conventions collectives d’entreprise.

Je me suis déjà exprimé à ce propos dans un article publié en septembre 2021 dans La Revue de Droit du Travail animée par Antoine Lyon-Caen, intitulé Les “formations communes syndicats/entreprises”. Sociographie d’un dispositif à repenser (lire ici). Je ne vais donc pas pointer ici à nouveau les responsabilités du « législateur » – en l’occurrence le cabinet de Mme El Khomry et les services du Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, qui ont « oublié » que les bonnes idées peuvent se dévoyer dès lors qu’elles sont mal outillées et qu’aucune phase d’expérimentation ne vient, avec pragmatisme, tester des formules avant de les généraliser ; ni les responsabilités des rédacteurs (INTEFP et ministère du Travail) du Cahier des charges de ces formations communes, publié fin juillet 2018 (lire ici), maîtrisant mal le sujet et oubliant que qualité des relations sociales dans l’entreprise et qualité des processus de négociation se co-construisent à la table de négociation elle-même, pourvu que les équipes de chaque camp, ensemble de préférence, y disposent de méthodes et d’un accompagnement appropriés. Je choisis plutôt de pointer ici notre responsabilité collective – syndicalistes, patrons, responsables politiques, agents des DREETS, universitaires, journalistes, etc. – à ne pas nous saisir – résolument ! – de ces questions, à attribuer aux autres des torts qui sont aussi les nôtres, à nous habituer à participer à des processus formels et stériles de négociation collective, à ne pas rédiger des guides, des fiches pratiques, des listes de conseils, etc., et les mettre à disposition des acteurs sociaux, à ne pas multiplier des évènements de type Les Réussites du dialogue social, etc. Car tout cela existe, mais éparpillé, incomplet, non valorisé. La maison brûle, et nous continuons de regarder ailleurs…

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Mardi 14 novembre, 9 h : même salle au 10ème étage du pôle Léonard de Vinci, mêmes participants, même enseignante – et même pluie… J’anime ce matin, en duo avec Soazig, une séquence de jeu de rôles, à partir du Cas SoFer, un cas de modernisation d’entreprise, à l’origine écrit par Claude Rioux, ex-directeur du syndicat québécois des pâtes et papiers, affilié à la CSN, et désormais chercheur au CRIMT, un gros laboratoire de relations industrielles au Canada. Je présente le cas, les objectifs pédagogiques, la méthode, donne quelques consignes pratiques, et le groupe se scinde en trois sous-groupes, composé de trois syndicalistes et de deux employeurs, avec rôles (partiellement) inversés.

Moment de préparation, moment de mise en problèmes des prétentions de chaque camp, moment de conception de scénarios de résolution, puis moment de co-construction d’une formule de négociation : les étapes s’enchaînent, les participants jouent le jeu. Vient le débriefing final : les sous-groupes restituent, font état des difficultés rencontrées, comment ils les ont résolues, etc. Routine ? Oui. Mais en cette fin de matinée, en écoutant ces professionnels du dialogue social objecter, acquiescer, s’analyser, etc., à partir d’un simple jeu de rôles, je vérifie combien l’idée de se former ensemble, syndicalistes et représentants d’employeur, à des méthodes novatrices de négociation collective – pour ma part, je les nomme désormais ainsi : « fondées sur la résolution de problèmes » – demeure une idée « révolutionnaire » qui, promue, valorisée, explicitée, expérimentée, etc., serait à même, en moins d’une quinzaine d’années, de modifier la pratique de la négociation collective en France contemporaine et d’en amplifier la dynamique. Il ne tient qu’à nous, praticiens, consultants et dirigeants d’organisations, de mettre cette bonne idée dans tous les agendas sociaux des entreprises, des administrations, des hôpitaux, des municipalités, des branches, etc., dans lesquels nous agissons ou intervenons. Le dialogue social de demain, c’est aujourd’hui qu’il se prépare…  

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