(CGT – UFSE-CGT, CGT Santé et action sociale, CGT Services publics –,FSU et Solidaires Fonction publique – ont déposé un recours collectif devant le Conseil d’État contre l’ordonnance du 17 février 2021 relative à la négociation collective dans la Fonction publique. Le Conseil d’État a décidé début octobre de demander l’avis du Conseil constitutionnel via une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité. Cet organisme a publié sa réponse le 10 décembre 2021.
Je reproduis ci-dessous : l’avis du Conseil constitutionnel (lire ici) ; le communiqué des trois organisations syndicales qui contestaient l’ordonnance de février 2021 (lire ici) ; et le communiqué de la CFDT-Fonctions publiques (lire ici). ).
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« 1. L’article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 17 février 2021 mentionnée ci-dessus, est relatif aux accords collectifs conclus dans la fonction publique. Son paragraphe III prévoit :
« Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l’article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire.
« L’autorité administrative signataire d’un accord peut suspendre l’application de celui-ci pour une durée déterminée en cas de situation exceptionnelle et dans des conditions précisées par voie réglementaire.
« Les accords peuvent faire l’objet d’une dénonciation totale ou partielle par les parties signataires selon des modalités prévues par voie réglementaire. Lorsqu’elle émane d’une des organisations syndicales signataires, la dénonciation doit répondre aux conditions prévues au I de l’article 8 quater. Les clauses réglementaires que, le cas échéant, comporte un accord faisant l’objet d’une telle dénonciation restent en vigueur jusqu’à ce que le pouvoir réglementaire ou un nouvel accord les modifie ou les abroge ».
2. Les parties requérantes soutiennent que, en ne permettant pas à des organisations syndicales représentatives de demander la révision ou la dénonciation d’un accord conclu dans la fonction publique au motif qu’elles n’en seraient pas signataires, les dispositions renvoyées méconnaîtraient la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa et les deux premières phrases du dernier alinéa du paragraphe III de l’article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983.
4. Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Aux termes du huitième alinéa du même préambule : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
5. Il incombe au législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État, de poser des règles propres à garantir la participation des organisations syndicales à la détermination collective des conditions de travail.
6. Les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires et les autorités administratives et territoriales compétentes ont qualité pour conclure des accords. Ces derniers sont valides s’ils sont signés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations habilitées à négocier lors des dernières élections professionnelles.
7. Les dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe III de l’article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 prévoient que les accords collectifs conclus dans la fonction publique peuvent être modifiés par des accords adoptés dans le respect de la condition de majorité précitée.
8. Les dispositions contestées du dernier alinéa du même paragraphe permettent la dénonciation totale ou partielle d’un accord par les parties signataires, et sous réserve, pour les organisations syndicales, du respect de la même condition de majorité.
9. En premier lieu, les dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe III n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’interdire aux organisations syndicales représentatives qui n’étaient pas signataires d’un accord collectif de prendre l’initiative de sa modification.
10. En second lieu, d’une part, en réservant le droit de dénoncer un accord aux seules organisations qui sont à la fois signataires de cet accord et représentatives au moment de sa dénonciation, les dispositions contestées du dernier alinéa du même paragraphe III ont pour objectif d’inciter à la conclusion de tels accords et d’assurer leur pérennité.
11. D’autre part, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent, même sans être signataires d’un accord, demander d’ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d’un nouvel accord, dans le cadre prévu par l’article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’exigence découlant des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946.
13. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Le premier alinéa et les deux premières phrases du dernier alinéa du paragraphe III de l’article 8 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique, sont conformes à la Constitution. »
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Négociation collective dans la fonction publique : à la recherche d’une égalité des armes !
« Alors que des négociations collectives sont en cours et que le gouvernement traite avec mépris les légitimes revendications salariales des agent∙es public∙ques, le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision, certes de rejet, mais comportant une interprétation tout à fait favorable à ce que nous défendions.
En effet, nos organisations – CGT, UFSE-CGT, CGT Santé et action sociale, CGT Services publics, FSU et Solidaires Fonction publique – ont entamé un recours unitaire contre l’ordonnance relative à la négociation collective dans la Fonction publique. Même si cette ordonnance paraît novatrice en ce qu’elle prévoit que les accords collectifs pourront être juridiquement créateurs de droits ; alors qu’ils ne constituaient jusqu’alors de simples déclarations d’intentions, cette évolution est toute relative ! Ces nouvelles dispositions peuvent au contraire conduire à des situations de blocage limitant drastiquement le pouvoir d’initiative des organisations syndicales.
Ainsi l’essentiel de nos critiques était de dénoncer que cette ordonnance réservait aux seules organisations syndicales représentatives et signataires d’un accord collectif l’initiative de leur dénonciation et de leur révision, et ce même après des nouvelles élections modifiant la représentativité. Comme il n’existe pas de dispositions permettant d’adhérer à un accord postérieurement à sa signature, une organisation syndicale non-signataire ne pourrait pas demander à modifier l’accord, quand bien même elle serait devenue représentative et majoritaire. Et une organisation syndicale signataire mais devenue minoritaire ne pourrait pas non plus ni dénoncer ni demander à modifier. Blocage qui signifierait que seuls les employeurs publics pourraient modifier un accord ou le dénoncer ! Scandaleux !
Bonne nouvelle : le Conseil constitutionnel dans sa décision Question prioritaire de constitutionnalité du 10 décembre 2021 fait une réserve d’interprétation tout à fait favorable à notre analyse : à savoir que les organisations syndicales représentatives non signataires peuvent et doivent pouvoir être à l’initiative de la modification d’un accord (considérant 9) et notamment elles peuvent le faire en demandant une ouverture de négociation en vue de la modification de l’accord (considérant 11).
Ces considérants de principe favorables confirment donc la légitimité de notre bataille juridique. Il est temps que l’administration cesse de vouloir exclure les non-signataires des suites d’un accord, notamment en rendant impossible sa révision.
À l’appui de ces considérants de principe, notre combat juridique continue puisque nous attendons désormais la censure du Conseil d’État contre le décret d’application de cette ordonnance, qui précisément prévoit de réserver aux seules organisations syndicales signataires la possibilité de réviser un accord.
En revanche le Conseil constitutionnel rejette notre analyse concernant la dénonciation d’un accord collectif. Il considère de manière aberrante que c’est pour la pérennité des accords que la dénonciation est réservée aux seules signataires ! Or par le même mécanisme de blocage, cela signifie donc que seuls les employeurs publics pourront dénoncer un accord si les signataires ont perdu leur représentativité ! En termes d’égalité des armes dans la négociation collective, c’est une aberration alors même que la dénonciation demeure un outil indispensable dans le rapport de force.
Pour nos organisations, il est hors de question de faire de la négociation collective un moyen de décision unilatérale des employeurs publics, celle-ci doit rester un droit fondamental permettant aux agent∙es public∙ques de faire valoir leurs revendications et obtenir des droits nouveaux. »
(Communiqué CGT, CGT-Fonction Publique, FSU et Solidaires-Fonction publique, Paris, 15 décembre 2021)
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« Le Conseil constitutionnel reconnait la constitutionnalité de l’ordonnance n°2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique.
« On ne le sait pas encore assez, mais depuis une ordonnance du 17 février 2021, complétée par un décret du 7 juillet 2021, les organisations syndicales représentatives comme la CFDT, peuvent, dans le cadre des conditions prévues par les textes, négocier, conclure, signer des accords collectifs, qui ont désormais une portée juridique et une force contraignante.
C’est ainsi que le 13 juillet 2021, un accord télétravail a été signé de manière unanime par les fédérations syndicales d’agents publics et le ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques et l’ensemble des employeurs publics territoriaux et hospitaliers.
C’est aussi dans ce cadre que se déroulent actuellement des négociations pour une meilleure complémentaire santé des agents de l’État financée à au moins 50% par les employeurs.
C’est ainsi que dans tous les ministères, les administrations centrales, les services déconcentrés, à l’État, dans les collectivités territoriales, dans la fonction publique hospitalière, un certain nombre de décisions importantes ne seront plus seulement imposées, ou simplement discutées, mais réellement négociées.
Négocier ne veut jamais dire par avance, tomber d’accord et signer. Négocier, c’est vouloir trouver des compromis acceptables et faire plus et mieux pour les agents dans des domaines très variés comme par exemple, les conditions et l’organisation du travail, le temps de travail, l’accompagnement social des mesures de réorganisation des services, la mise en œuvre des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes etc.
Négocier, signer, faire vivre un accord et éventuellement le dénoncer implique avoir le sens des responsabilités.
Pour la CFDT, il est évident que les organisations syndicales représentatives qui ont signé un accord, font parties d’un comité de suivi qui veille à la bonne application de l’accord.
Pour la CFDT, les organisations syndicales qui n’ont pas voulu signer, ne peuvent pas ensuite, ni faire appliquer le texte, ni en demander la révision, ni décider de sa suspension.
La CGT, la FSU, Solidaires voulaient que les non-signataires d’un accord collectif dans la Fonction Publique puissent exercer un droit de dénonciation.
Ces organisations syndicales ont décidé de réclamer ce droit au Conseil d’État. Avant de se prononcer, la haute juridiction administrative a décidé de demander son avis au Conseil constitutionnel le 6 octobre 2021, par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Ce dernier vient de répondre le 10 décembre 2021 de manière explicite. Il renvoie dans leurs buts la CGT, la FSU et Solidaires.
Le Conseil constitutionnel a décidé que : « La rédaction issue de l’ordonnance n° 2021- 174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique est conforme à la Constitution. »
La CFDT Fonction Publique se félicite que la décision du Conseil constitutionnel fasse une distinction nette entre des organisations syndicales signataires d’un accord collectif, et les organisations syndicales qui refusent de s’engager. Il a donné dans le cadre du droit constitutionnel une force à l’ordonnance du 17 févier 2021, et aux partenaires sociaux qui s’engagent pour que les agents publics puissent bénéficier de droits nouveaux issus d’accords collectifs, sans craindre qu’ils soient remis en cause par des non-signataires. »