Publication du rapport intermédiaire 2020 du comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et économique

Le comité d’évaluation des ordonnances Travail du 22 septembre 2017, mis en place en novembre 2017, coprésidé par Sandrine Cazes, Marcel Grignard et Jean-François Pilliard et composé de représentants des partenaires sociaux, d’administrations, de chercheurs, d’experts et de praticiens, a publié mi-juillet 2020 un troisième rapport d’étape portant sur la connaissance et l’appropriation de cette réforme par les acteurs sociaux. Nous reproduisons ci-dessous le résumé de ce rapport de 209 pages avec annexes. L’intégralité du rapport est disponible sur le site de France Stratégie (lire ici).

« Ce rapport intermédiaire [du comité d’évaluation des ordonnances Travail du 22 septembre 2017, mis en place en novembre 2017] rend compte de premiers éléments d’analyse et d’appréciation sur le suivi de la mise en œuvre de ces ordonnances, qui se déploient depuis deux ans à des rythmes variables selon les mesures. À ce stade et s’agissant de mesures dont les effets sont attendus sur le moyen ou long terme, il ne s’agit pas encore de travaux d’évaluation qui prétendent apprécier les effets globaux de cette réforme sur la qualité du dialogue social et les performances du marché du travail.

Les analyses présentées résultent de travaux et de données pour la plupart antérieures à mars 2020. Elles ne prennent donc pas en compte la manière dont la crise provoquée par la Covid- 19 et ses suites impactent le déploiement des ordonnances 2017. Ceci fera l’objet de travaux ultérieurs.

Sur chacune des dispositions des ordonnances étudiées, le rapport présente les questions évaluatives posées et les éventuelles spécificités méthodologiques soulevées, les données de suivi disponibles, les résultats de travaux d’analyse qualitative, et fait le point sur les travaux d’évaluation en cours et à venir, dont les résultats seront présentés par le comité au terme de leur réalisation.

Le rapport traite d’abord des dispositions qui relèvent de la transformation des modalités du dialogue social en France (partie 1) et en particulier de la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), seule disposition obligatoire des ordonnances qui s’impose à toutes les entreprises de plus de 10 salariés depuis le 31 décembre 2019. Les CSE fusionnent les anciennes instances de représentation du personnel avec l’objectif de simplifier leur fonctionnement et de traiter de façon transversale différents sujets relatifs à la fois aux enjeux sociaux (dont les conditions de travail, santé et sécurité…) et aux enjeux économiques de l’entreprise.

Au 2 juin 2020, on dénombrait 81 371 CSE mis en place (soit près de 10 843 800 salariés concernés) et 39 354 procès verbaux de carences (représentant environ 1 114 350 salariés). Des études ultérieures permettront de préciser le taux de couverture des entreprises par ces nouvelles instances et de le comparer avec celui des dispositifs antérieurs.

Des premiers travaux qualitatifs sur les CSE portant sur la période initiale de mise en œuvre (de début 2018 à mi-2019), soulèvent différentes questions sur leur fonctionnement qui nécessiteront d’être approfondies par les travaux d’évaluation en cours : quelle articulation entre la centralisation des instances et la gestion des questions de proximité ? Quelle prise en charge des questions spécifiques d’hygiène, santé et sécurité au travail ? Quelle évolution des moyens et de la nature du travail des représentants du personnel ? Quelle atteinte des objectifs de simplification et de transversalité ? Et enfin ces instances permettent-elles d’aller au-delà de la reproduction de l’existant, d’innover et in fine d’améliorer la qualité du dialogue social ?

Si l’appropriation des ordonnances dans les entreprises s’est avant tout focalisée sur la création des CSE, plus que sur l’élargissement du champ des sujets ouverts à la négociation d’entreprise, les données sur le nombre annuel d’accords et textes enregistrés montrent que l’activité à ce niveau a fortement progressé. En 2019, 65 800 textes (hors épargne salariale) ont été conclus et déposés, dont environ 49 000 accords collectifs ou avenants, le reste étant constitué de décisions unilatérales (ou plans d’action). Sur la période 2015-2017, le nombre d’accords collectifs et avenants oscillait autour de 25 000 par an. Ce quasi-doublement reflète probablement en partie une dynamique de négociation permise par les ordonnances de 2017, mais relève aussi d’autres facteurs explicatifs : l’augmentation du nombre d’accords relatifs au droit syndical ‒ en lien avec la mise en place des CSE ‒, et à la rémunération, ‒ en rapport notamment avec la création de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de 2019 ‒, la poursuite du développement de la négociation d’entreprise sur le temps de travail, et également des facteurs techniques (la dématérialisation du dépôt des accords qui a modifié le rythme des enregistrements rendant imparfaitement comparables les données annuelles depuis 2018).

L’évolution de la composition des textes conclus et déposés montre que la part des accords ou avenants dans l’ensemble des textes a augmenté de 2015 à 2018, avant de diminuer en 2019 (en passant de 74 % en 2015 à 83 % en 2018 pour redescendre à 75 % en 2019). Les décisions unilatérales quant à elles ont suivi le mouvement inverse. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, le nombre de textes déposés progresse, principalement grâce aux nouvelles possibilités de négociation et de conclusion d’accords offertes par les ordonnances à ces entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Ce dynamisme dans les petites entreprises est ainsi dû à l’usage nouveau du référendum de ratification (à la majorité des 2/3 des salariés), mais également au développement de la négociation avec des élus du personnel. En 2019, sur près de 15 700 textes déposés par des entreprises de moins de 50 salariés, 32 % ont été signés par un délégué syndical, un élu ou un salarié mandaté, près de 44 % par l’employeur seul et près de 24 % ont été ratifiés par référendum.

Si les ordonnances ont surtout élargi le champ de la négociation d’entreprises, la négociation au niveau des branches conserve un certain nombre de sujets tout en accédant à d’autres.

Quelques branches se sont saisies par exemple des sujets liés aux contrats de travail (CDD/ CTT/ CDI de chantier), mais très peu des possibilités de négocier un accord de méthode définissant le calendrier, le contenu et la méthode de la négociation de branche. Les années 2018 et 2019 ont été marquées, concernant le contenu des accords de branche, par un débat juridique entre les acteurs de la négociation sur la délimitation de l’assiette des salaires minima (sujet réservé à la négociation de branche) et sur la portée de l’obligation de clauses déclinées pour les « TPE », qui doivent désormais figurer dans les accords de branches pour que ces derniers soient étendus. Par ailleurs, le groupe d’experts chargé d’évaluer les demandes d’extension de certaines conventions au regard de son effet sur les entreprises de la branche et notamment les TPE et PME, a élaboré progressivement une méthode de travail pour traiter les demandes d’expertise ; mais à ce jour il n’a été saisi qu’une fois. L’articulation négociation de branche/d’entreprise (selon leur taille) sera un sujet central à évaluer dans les prochaines années, dans un contexte de restructuration de ces branches.

Dans une deuxième partie, le rapport s’intéresse aux dispositions relevant de l’ajustement de l’emploi aux besoins économiques des entreprises. Deux types d’accords nouveaux ont été créés par les ordonnances dans cette perspective, les accords de performance collective (APC) et les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Le nombre d’APC conclus progresse de manière continue pour atteindre un total de 371 accords conclus entre janvier 2018 et juin 2020. Ce chiffre reste modeste à l’échelle du nombre d’accords signés chaque année par les entreprises mais est nettement supérieur aux accords antérieurs de nature comparable (accord de maintien de l’emploi et accords en faveur de la préservation et du développement de l’emploi). Jusqu’au début 2020, les APC ont été signés dans des secteurs variés, aussi bien par des petites que par des grandes entreprises, et ont été validés selon différentes modalités (58 % sont signés par une ou plusieurs organisations syndicales, 33 % par un CSE et 9 % sont ratifiés par référendum (au 2/3 des salariés)). Ces accords se caractérisent par une grande souplesse offerte à l’entreprise pour modifier le temps de travail, les rémunérations et les conditions de mobilité et un impact juridique fort pour les salariés (les clauses du contrat de travail incompatibles avec l’accord étant suspendues). Les premières études qualitatives menées par des experts et des chercheurs sur les APC montrent que leur usage soulève des questions quant à leur capacité à garantir des compromis équilibrés reposant sur un diagnostic économique et des objectifs stratégiques partagés.

Pour les accords de rupture conventionnelle collective (RCC), au 31 mars 2020, on dénombrait 164 accords conclus et validés par les Direccte. Ces accords concernent des entreprises de tailles diverses (64 % des accords ont été conclus dans des entreprises de plus de 5 000 salariés et 8 % dans des entreprises moins de 50 salariés) et des secteurs variés. Leur contenu et leurs effets sur l’emploi restent à analyser, notamment dans l’attente des bilans qui doivent être remis par les entreprises concernées à l’issue de la mise en œuvre des dispositions d’accompagnement.

Enfin, les ordonnances ont modifié la législation sur le licenciement, notamment en remplaçant le référentiel indicatif d’indemnisation (instauré par le décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016) par un barème obligatoire encadrant les indemnités pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Ce barème est intervenu dans un contexte de forte baisse du nombre de contentieux devant les prudhommes (et du taux de recours contre les licenciements) observée depuis 10 ans (le nombre de recours a été divisé par deux) ‒ et surtout depuis septembre 2016 (moins 18 % de recours entre 2015 et 2016 et presque autant l’année suivante) ‒ sans que l’on puisse constater un effet spécifique de l’instauration du barème obligatoire. Des approfondissements sur les évolutions de la nature des contentieux restent à mener : les motifs de nullité (discrimination, harcèlement …) qui permettent aux requérants et aux juges de s’extraire du barème seront-ils de plus en plus invoqués ? Et avec quels effets sur la prévisibilité du coût du licenciement ? À plus long terme, cette évolution du contentieux prud’homal peut-elle avoir un effet sur la propension à licencier et à embaucher des entreprises et sur la nature des contrats de travail signés (CDI/CDD) ? Des travaux d’évaluation en cours devraient apporter des éléments de réponse à ces questions en 2021.

Dans la dernière partie, le rapport revient sur les questions méthodologiques relatives à l’évaluation du lien entre ces ordonnances, la qualité du dialogue social et la performance des entreprises et plus généralement les performances macroéconomiques en termes de qualité et de quantité de l’emploi (Partie 3).

Le rapport traite également de la façon dont le comité prévoit de poursuivre ses travaux dans un contexte économique et social bouleversé par la crise sanitaire de la Covid-19. Au regard des ordonnances de 2017 et de la crise, trois objets d’étude restent centraux.

  • Le fonctionnement du CSE, conçu pour traiter à la fois des questions sanitaires et de conditions de travail, particulièrement mises sous tension pendant la crise sanitaire, et des enjeux de stratégie économique et d’emploi, qui sont au cœur de la période de reprise de l’activité.
  • Le recours à la négociation d’entreprise et en particulier l’usage des accords APC et RCC, qui pourraient faire l’objet d’un usage accru dans une phase de tension économique et d’ajustement de l’emploi.
  • L’articulation entre les niveaux de dialogue social, entreprises et branches, ces dernières (du moins certaines) ayant joué un rôle renforcé pendant la période de confinement. Les enjeux de sortie de crise peuvent se situer, dans certains secteurs en particulier, au-delà du niveau des entreprises. La transversalité des questions sanitaires liées à la pandémie, et au-delà les interdépendances économiques peuvent réinterroger le rôle de la régulation à l’échelle d’un marché, d’une profession, d’une filière ou d’un territoire et son articulation avec la primauté donnée désormais dans de nombreux domaines à la négociation. »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s