Où peut-on, en France, se former à la négociation collective ?
Au Québec, un pays qui semble être une référence pour nombre de formateurs et de médiateurs, la réponse est simple : à l’université, dans des départements dits de « relations industrielles » – université Laval, à Québec ; université de Montréal – ou dans le cadre de programmes universitaires en relations industrielles et/ou de ressources humaines – université de Gatineau, université du Québec à Montréal, etc.
Les futurs négociateurs d’entreprise, qu’ils choisissent de faire carrière dans des postes de managers ou comme conseiller syndical, dans le privé ou le public, sont ainsi formés dans de mêmes salles de classe, acculturés aux mêmes schémas théoriques et pratiques. Certes, tous les syndicalistes québécois ne sont pas titulaires d’un baccalauréat ou d’une maîtrise en relations industrielles, mais tous bénéficient de l’aide de ces conseillers syndicaux, embauchés par les confédérations syndicales, et qui les assistent tout au long de leurs négociations, quand il s’agit de renouveler la convention d’entreprise. Cette professionnalisation des négociateurs n’est pas sans influence sur les processus de négociation et leurs résultats.
Cet article, le premier d’une série de cinq, présente d’abord l’état des lieux, en France. Il est suivi d’articles présentant des expériences : L’expérience nord-américaine (États-Unis et Québec) (article 2), et L’expérience ultramarine, à Nouméa et Fort-de-France (articles 3 et 4). Ce mini-dossier se clôt par un dernier article : Pédagogie et finalités.
J’inclus dans ma réflexion les « formations communes » – ces fameuses formations visant à améliorer les pratiques du dialogue social communes aux salariés, aux employeurs, à leurs représentants, aux magistrats judiciaires ou administratifs et aux agents de la fonction publique, comme les désigne le décret du 2 mai 2017, suite à la loi Travail d’août 2016 et au nouvel article L. 2212-1 du Code du travail.
Où peut-on donc, en France, se former à la négociation collective ? Quels sont les organismes formateurs, privés ou publics, qui proposent ces formations, et quels sont leurs contenus pédagogiques ?
Aucun document émanant du ministère du travail ou de ses services (DGT, DARES, INTEFP, etc.) n’existant à ce sujet, je me suis attelé à la tâche. J’ai distingué organismes publics et organismes privés, formation initiale et formation continue, grandes écoles et universités, cabinets de conseil et cabinets de formation, etc. J’ai visité les sites web de tous ces organismes, relevé les intitulés de cours et/ou de stages comportant les expressions « Dialogue social » ou « Négociation collective », et j’ai recopié les programmes pédagogiques. Une centaine d’heures et cinquante pages plus tard, l’étude était terminée. Elle est disponible ici et sur la page Ressources de ce weblog, rubrique Formation.
Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Un. Du fait qu’il n’existe pas de départements ou d’instituts dédiés dans les universités et les grandes écoles françaises aux relations sociales, comme c’est le cas en Amérique du Nord (avec les départements de « relations industrielles »), la négociation collective fait très peu l’objet d’enseignements en formation initiale universitaire. Les jeunes dirigeants, issus d’écoles d’ingénieurs, d’école de commerce ou d’instituts de gestion, sont ainsi conduits à apprendre à négocier « sur le tas », en mobilisant l’expérience des anciens, quand cela est possible – la plupart du temps en suivant leur intuition et leurs convictions. L’absence d’une culture, solide et partagée, de la négociation collective en France s’explique d’abord par cet impensé des programmes universitaires.
De même, le système formatif du secondaire public ne sensibilise guère les élèves aux relations sociales dans les entreprises et les administrations. L’entreprise, notait l’avis du CESE de 2016, Le développement de la culture du dialogue social en France (lire ici), n’est traitée au lycée qu’à travers sa fonction de production, son bilan et son compte de résultat, et si le monde du travail est abordé en classe terminale, il l’est sous le seul angle de la conflictualité sociale – et non de sa régulation conjointe. La notion de négociation, remarquait enfin Luc Bérille et Jean-François Pillard, rédacteurs de l’avis du CESE, n’est présente qu’une seule fois, dans le programme de terminale (2015), dans un thème consacré au marché du travail et à la gestion de l’emploi. Tous deux recommandaient d’inscrire explicitement cette question du dialogue social dans les programmes pédagogiques…
Deux. Les représentations collectives françaises, péjorées, de ce qu’est une négociation collective, et la croyance, partagée dans les milieux managériaux, que négocier est facile et qu’une bonne connaissance technique des sujets permet de l’emporter face aux délégués syndicaux, ne conduisent guère les dirigeants d’entreprise à rechercher une meilleure compétence de négociateur, donc à susciter une offre formative.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, comme le rappelait le rapport de Jean-Denis Combrexelle (La négociation collective, le travail et l’emploi (2015) ; lire ici), que la négociation collective est en France davantage « perçue comme un “centre de coûts” que comme un “levier de performance” » et que beaucoup de dirigeants pensent que « la négociation collective ne participe pas directement à la création de valeur de l’entreprise, ni même à la valorisation du travail, du savoir-faire et de l’intelligence de la communauté de travail. » Le catalogue étriqué des formations à la négociation collective en France, comme mon étude le confirme, ne fait que traduire cet état d’esprit…
Trois. Nombre des formations proposées dans les institutions privées sont à l’usage exclusif d’une des parties ; rares sont les organismes de formation, les cabinets de conseil et les cabinets d’avocats à inscrire à leur catalogue des formations communes. Interrogés à ce sujet, certains organismes ou cabinets m’ont répondu que le désir premier de leurs clients (managers ou syndicalistes) est de posséder des outils et des techniques pour l’emporter sur leur adversaire, pour savoir contrer sa stratégie et sortir vainqueur de l’interaction. Cela entretient, me semble-t-il, cette perception partagée de la négociation collective comme un sport de combat et où, à l’issue du processus, il y aura forcément un gagnant et un perdant. Les uns, sachant que leur « adversaire » a reçu une formation pour, pensent-t-ils, mieux leur imposer sa volonté, s’empressent ainsi de se former aux techniques compétitives de négociation, pour pouvoir y faire face ; sachant cela, les premiers s’empressent de s’inscrire à leur tour dans de semblables modules, etc. Comment sortir de ce cercle vicieux ? Peut-être en convainquant les principaux fournisseurs de formation sur ce marché d’inscrire à leur catalogue, sans réduire leur offre destinée à un seul des deux camps, des modules de formation conjointe. Les « clients » auront ainsi la possibilité d’opter pour une démarche formative différente…
Quatre. Une part importante des programmes pédagogiques proposés par ces organismes et recensés dans mon étude traduisent ces croyances et ces désirs ; et beaucoup consacrent un volume d’heures important aux dimensions juridiques de la négociation collective. Il conviendrait, sans minorer l’importance d’une lecture juridique de la négociation collective, de mieux équilibrer la part respective des apports normatifs et pratiques. Cela n’est possible que si les formateurs eux-mêmes ont été formés aux techniques de résolution de problèmes par la négociation collective ; ce qui suppose d’imaginer un dispositif, souple mais effectif, de certification de ces formateurs, auprès d’organismes privés ou publics, français ou étrangers, ayant prouvé leurs compétences en ce domaine…
Cinq. Le pourcentage actuel des modules de formation commune, ou de formation à la négociation intégrative n’est pas non plus négligeable. L’INTEFP travaille à la valorisation de cette offre sur le marché de la formation pour adultes. Il faudrait peut-être réfléchir, au-delà du site de promotion des formations communes de l’INTEFP, Format Dialogue, (lire ici), à la production d’une infolettre, à la mise en ligne de récits et de témoignages de participants à des modules de formations communes, à la rédaction d’ouvrages de valorisation, etc.