Parution, 4ème édition, du manuel québécois « La Négociation collective »…

Vient de paraître, chez Chenelière Éducation, éditeur à Montréal, la quatrième édition de l’ouvrage La Négociation collective, sous la direction de Renaud Paquet et  Jean-François Tremblay (lire ici). L’édition princeps date de 2006. C’est un ouvrage de grande valeur pédagogique : 220 pages, de grand format, 10 chapitres et 10 auteurs (outre les deux directeurs : Jean Boivin, François Bolduc, Lorenzo Frangi, Jean-Noël Grenier, Patrice Jalette, Mélanie Laroche, Frédéric Lauzon Duguay et Monique Richard).

On aimerait qu’un pareil volume puisse être publié en France. Nos éditeurs, y compris les éditeurs « scolaires », type Nathan, Belin, Armand Colin, etc., déclineraient poliment, invoquant le fait, qu’en France, argumenteraient-ils, il n’existe pas de marché pour un tel ouvrage… Ils ont à la fois tort et raison. Tort, car il faudrait que l’un d’entre eux publie un ouvrage comme celui édité au Québec pour vérifier, au bout de deux ou trois ans, si oui ou non, les clients sont intéressés… Mais ils ont un peu raison car il y a peu de chance, vu la faible pratique et la faible culture de la négociation collective dans les entreprises françaises, qu’un ouvrage portant ce titre dépasse les 300 000 exemplaires annuels, à l’instar de la diffusion de la Bible dans la France contemporaine… Toujours est-il que nous manque dans l’hexagone un ouvrage du format et de la qualité de celui de nos collègues québécois…

Quels sont les atouts de cette quatrième édition (2024) de La Négociation collective ?

Un, si l’ouvrage traite de toutes les étapes d’un processus de négociation collective, ce dernier est finalisé : produire des conventions collectives dans les entreprises et administrations ou collectivités québécoises. D’où un long (mais intéressant) chapitre sur  les coûts de production de ces conventions (c’est-à-dire : les coûts liés aux négociations elles-mêmes, de la rémunération des négociateurs syndicaux à la location d’une salle dans un hôtel pour négocier sur terrain neutre…) et les coûts d’application des clauses négociées (c’est-à-dire les coûts résultant des augmentations de salaire, de l’amélioration des conditions de travail ou de droits nouveaux octroyés aux travailleurs). Les auteurs (Patrice Jalette et Frédéric Lauzon Duguay) écrivent en conclusion de leur chapitre – et je souscris pleinement à cette assertion : « Le calcul du coût des offres et des demandes des parties peut contribuer à une prise de décision conjointe éclairée. Plus les analyses sont rigoureuses et les hypothèses solidement appuyées, meilleures sont les solutions négociées. Une analyse de qualité peut permettre aux parties à la négociation d’apporter des changements bénéfiques qui, autrement, n’auraient pas été envisagés. » Et un peu plus loin : « Un négociateur doit toujours avoir en tête les paramètres des clauses en litige et leur coût s’il veut être en mesure de cerner les priorités qu’il pense devoir défendre. Laisser à l’autre partie les soins de faire les calculs risque de le confiner sinon dans un rôle défensif et de diminuer sa crédibilité aux yeux de ses mandants. »…

Deux, un chapitre (le 10ème, État des lieux et perspectives), qui permet au lecteur / à la lectrice de mieux apprécier les forces et les faiblesses de la négociation collective dans un monde en profonde mutation. Les directeurs du livre, auteurs de ce dernier chapitre, sont plutôt optimistes. Ils concluent leurs propos en citant la phrase par laquelle le professeur Gérard Hébert concluait son Traité de négociation collective (1992) : « L’avenir de la négociation collective est entre les mains de ceux qui la pratiquent. » Cette leçon est aussi valable de ce côté-ci de l’Atlantique…

Trois, un focus bienvenu sur la négociation collective en France et en Italie, ainsi que sur les accords-cadres internationaux. L’auteur de ce chapitre 9, Lorenzo Frangi, pointe ainsi le paradoxe français : un pays où le taux de syndicalisation est parmi les plus bas, et le taux de couverture conventionnelle est le plus haut…

Quatre, un positionnement théorique équilibré entre la démarche de la NBI, négociation basée sur les intérêts, dans la terminologie québécoise, issue des préceptes décrits dans Getting to Yes, l’ouvrage séminal de Roger Fisher et William Ury (1981), et la démarche comportementaliste de Richard Walton et Robert McKersie (1965), avec ses quatre sous-processus – négociation distributive, négociation intégrative, négociation intra-organisationnelle et structuration des attitudes. Les auteurs de ces deux chapitres (Jean-François Tremblay et Renaud Paquet) prennent soin, de façon pragmatique, à décrire chacune ces deux théorisations, dans ce qu’elles permettent de comprendre (le jeu des acteurs à la table de négociation, par exemple) et ce qu’elles permettent de faire (aboutir à des accords équilibrés et mutuellement satisfaisants).

Cinq, le lien opéré, de façon claire et pédagogique entre conflit du travail, médiation et négociation collective. Ce chapitre 6, rédigé par Monique Richard, à la différence des textes écrits et publiés en France sur la médiation (ne mettant en avant que la gestion de la seule relation entre les parties) aborde de façon pédagogique « l’intervention sur le contenu ». Elle écrit ceci, et là aussi, je fais miennes ses assertions : « Le médiateur-conciliateur évite d’apporter ses solutions dans le règlement du différend, mais cela ne veut pas dire qu’il doit restreindre son intervention sur le contenu. » Elle énumère ensuite les différentes possibilités du médiateur : poser des questions sur le contenu, « pour amener les parties à mieux saisir les conséquences de leurs positions et, du même coup, à adopter des positions différentes » ; faire des suggestions de contenu, que les parties peuvent ou non reprendre à leur compte, ou élaborer elles-mêmes des solutions qui leur conviennent mieux ; suggérer un cadre de règlement, « en indiquant les voies de compromis que chacune des parties pourrait emprunter » ; faire une recommandation, verbale ou écrite, « de façon à esquisser un règlement possible par rapport à l’ensemble [des éléments faisant encore l’objet d’un différend] ».

Dans leur conclusion, Renaud Paquet et Jean-François Tremblay s’interrogent à propos de l’avenir de la négociation collective au Québec. Question récurrente : elle était déjà à l’ordre du jour du Congrès de relations industrielles du département des Relations Industrielles de l’université Laval (« Adaptation ou disparition ? ») en… 1993 ! La problématique est restée la même – et le cas français n’échappe pas à la même analyse : moult changements sont à l’œuvre – l’évolution du cadre légal et juridique ; le développement d’une économie des plateformes ; la baisse des effectifs syndiqués ; la progression du nombre « d’usines non syndiquées » ; la décentralisation toujours plus grande des négociations collectives ; la diversification des thématiques qui y sont abordées, etc. – et les pratiques de négociation collectives doivent s’adapter à ces changements structurels.

Pour le cas québécois, les deux directeurs de l’ouvrage restent confiants : « Ce n’est pas la négociation collective qui a changé, mais tout simplement ce qui la nourrit. Ainsi les acteurs continueront à s’adapter aux contextes en constante évolution, comme ils l’ont toujours fait ». Certes. Mais optimisme et lucidité doivent aller de pair. Car…

… pour le cas français, Jean-Denis Combrexelle posait les bonnes questions dans son rapport de 2015 (page 14) : « La négociation collective est-elle un bon outil de régulation économique et sociale ? A-t-elle encore un sens et surtout une portée effective dans une société gravement affectée par le chômage et par la baisse de compétitivité des entreprises ? Dans laquelle les marges de négociation se réduisent de même que le lien de confiance ? A-t-elle encore un avenir dans une économie en pleine transformation imposant une extrême rapidité de la part des entreprises ? Est-elle en mesure de contribuer à la justice, à la cohésion sociale et à la démocratie sociale ? Est-elle encore adaptée aux besoins, demandes et exigences d’une société – notamment de ses jeunes générations – gagnée par l’individualisme et volontiers sceptique sur les modes d’organisation collective ? »

Combrexelle répondait par l’affirmative à ces questions. Il posait cependant aussitôt une autre et bonne question, toujours à instruire : comment faut-il faire évoluer cette négociation collective et quelles sont les conditions de cette évolution ? Même si l’époque (politique) n’est pas aux débats (apaisés, constructifs), même si le pire est possible à partir du 8 juillet 2024, même si les questions du travail et du dialogue social semblent ces jours-ci écrasées par la dissolution de l’Assemblée Nationale et la crise politique majeure qu’elle a aggravée, il n’empêche : la négociation collective est un mode efficace et démocratique pour réguler les relations de travail et résoudre les problèmes socio-productifs, au plus près du terrain, là où ils se posent et là où ils peuvent être résolus de façon appropriée.Si l’avenir de la négociation collective, on l’a dit, est aux mains de ses acteurs et de ses usagers (mais aussi : de ses experts), la convocation d’Assises nationales sur la négociation collective, à programmer d’ici fin 2024, est à l’ordre du jour.

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