(Je reproduis ci-dessous une partie de l’introduction et la conclusion du (fort intéressant) rapport publié à Bruxelles le 26 janvier 2022 par le Conseil central de l’économie de Belgique, intitulé Le rôle des organes paritaires de concertation dans le maintien de la paix sociale. Pour lire l’intégralité du rapport, cliquer ici).

« 1. Introduction
Une définition plus large de la paix sociale, liée au Pacte social
L’article 5 de la loi révisée du 26 juillet 1996 ne contient pas de définition claire de la paix sociale. Dans la définition juridique, le respect de la paix sociale est déterminé par la clause de paix sociale ou l’obligation de paix dans les CCT. Par cette clause, les partenaires s’engagent, pendant la durée de validité de la CCT, à en respecter les dispositions et à ne pas entreprendre d’action collective visant à modifier le contenu de la CCT (clause de paix sociale relative ou implicite), ou, de façon plus générale, à ne pas formuler de revendication supplémentaire ni entreprendre d’action collective (clause de paix sociale absolue). Cette dernière clause doit toutefois être explicitement incluse dans la CCT, ce qui n’est pas fréquent. Dans le présent rapport du Conseil central de l’économie, la paix sociale et le respect de celle-ci ne sont pas évalués dans ce contexte juridique.
Dans la présente analyse, le Conseil central de l’économie définit la paix sociale de manière plus large que la stricte définition juridique. La définition est mise en rapport avec les idées du Pacte social (« Projet d’accord de solidarité sociale ») de 1944. Le Pacte social de 1944 souligne la nécessité d’une collaboration pacifique entre les représentants des employeurs et des travailleurs afin d’éviter les troubles sociaux dans la période d’après-guerre et d’atteindre la prospérité économique. Cette concertation entre les partenaires est fondée sur le respect mutuel et la reconnaissance réciproque des droits et devoirs de chacun. Les employeurs peuvent compter sur la coopération des travailleurs dans la recherche de gains de productivité si les fruits sont distribués équitablement et non aux dépens des travailleurs (en termes de conditions de travail, de salaires et d’emploi).
Aujourd’hui encore, l’économie et la société belges sont confrontées à des défis importants liés aux bouleversements technologiques, aux changements démographiques, aux transitions énergétiques et environnementales, à l’évolution des relations économiques et (géo)politiques internationales et à la mobilité. La paix sociale risque d’être mise à mal, car ces grandes tendances modifient notre tissu économique, social et environnemental à court et à long terme et entraînent des transformations aux bénéfiques pour certains et négatifs pour d’autres, si ces défis ne font pas continuellement l’objet d’une concertation sociale.
Un modèle de concertation fonctionnant bien, tel que décrit dans le Pacte social, est important pour faciliter les changements nécessaires sans que ne se développent des conflits bloquants qui interrompent temporairement le dialogue constructif entre les partenaires sociaux. La paix sociale est évaluée dans ce contexte pour l’analyse demandée à l’article 5.
Les conflits sociaux sont toujours potentiellement présents dans le monde de l’entreprise vu les divergences d’intérêt et l’interdépendance des employeurs et des travailleurs. Mais dans la plupart des cas, ces différences d’intérêts et cette interdépendance ne se transforment pas en une suspension temporaire de la concertation sociale. Un conflit social dans l’entreprise passe par plusieurs phases avant de se transformer en un conflit bloquant. L’annexe A décrit cinq phases de développement que peuvent connaître les conflits sociaux dans le monde de l’entreprise, à partir des travaux d’Euwema et al. (2019). Dans un conflit bloquant, le conflit est tellement avancé que les parties concernées ne sont plus à la table des négociations et qu’un dialogue constructif entre les partenaires sociaux est temporairement interrompu (Euwema et al., 2019). Dans cette phase, des actions collectives peuvent être organisées « ouvertement », mais le conflit peut aussi être étouffé ou latent. Dans les deux cas, il s’agit d’un conflit bloquant dans lequel le dialogue entre les partenaires sociaux est temporairement suspendu. Grâce à la concertation, la médiation et les accords dégagés dans les institutions existantes du modèle de concertation belge, le développement d’un conflit en un conflit bloquant peut être évité dans de nombreux cas.
Le rôle des organes paritaires de concertation
Par la présente analyse, le Conseil central de l’économie entend souligner l’importance des organes paritaires de concertation dans la facilitation des changements nécessaires dans l’économie et la société belges sans que ne se développent des conflits bloquants.
Le Conseil central de l’économie distingue deux rôles importants pour les organes paritaires de concertation. D’une part, un rôle de prévention pour éviter le développement de conflits bloquants et, d’autre part, un rôle d’intervention. Si le conflit évolue malgré tout vers un conflit bloquant et que les parties concernées ne peuvent plus s’asseoir autour de la table, il existe différentes instances (et procédures) qui peuvent intervenir aux différents stades du développement du conflit (décrits dans l’annexe « Les cinq phases de développement d’un conflit social »). (…)
4. Conclusion
Une analyse basée sur les idées du Pacte social
Dans la présente analyse, le Conseil central d’économie examine le respect de la paix sociale dans le système belge de concertation sociale, tel que prévu à l’article 5 de la loi réformée de 1996. La structure actuelle de la concertation sociale y est analysée sur la base des propositions du Pacte social de 1944 (« Projet d’accord de solidarité sociale »). Afin d’éviter les troubles sociaux dans la période d’après-guerre et d’atteindre la prospérité économique, une collaboration constructive entre les représentants des employeurs et des travailleurs était nécessaire. Le Pacte social décrit les formes de collaboration entre les partenaires sociaux aux niveaux de l’entreprise, sectoriel, interprofessionnel, européen et international.
Aujourd’hui également, l’économie et la société belges sont confrontées à des défis importants. Dans ce contexte, un système de concertation sociale qui fonctionne bien est important pour faciliter les changements nécessaires dans l’économie et la société belges sans que ne se développent des conflits bloquants. L’approche de la crise sanitaire actuelle en est un exemple. Dans le cadre de cet état d’urgence extraordinaire, les organes de concertation sociale jouent un rôle pertinent dans la gestion pour l’économie et la société belges des conséquences de la propagation du coronavirus et des confinements. Divers organes consultatifs à différents niveaux de la structure de concertation ont joué un rôle important dans l’encadrement de la relance de l’économie, tant en conseillant les gouvernements sur les mesures d’urgence qu’en élaborant un environnement de travail sûr.
Grâce au dialogue social au sein des organes paritaires de concertation, les partenaires sociaux arrivent à débattre des problèmes rencontrés et à négocier des solutions acceptables aux yeux de toutes les parties concernées. Ces problèmes sont en effet toujours potentiellement présents dans le monde de l’entreprise vu les divergences d’intérêt et l’interdépendance des employeurs et des travailleurs. En plus de ce rôle préventif, il existe divers organes de concertation et procédures paritaires qui peuvent intervenir durant les phases de développement pouvant mener à un conflit bloquant, un stade où le dialogue social est temporairement suspendu.
Consulter les partenaires sociaux et respecter leur autonomie
Pour que le dialogue social aboutisse, il est important que le travail des partenaires sociaux soit reconnu par les différentes autorités. Les représentants les plus représentatifs des employeurs et des travailleurs siègent en effet au CCE et au CNT. Ces organes rassemblent les différents courants, intérêts et perspectives de la politique économique et sociale. Il est indispensable de consulter ces organes de concertation en temps utile et de leur laisser le temps et l’opportunité de réellement négocier ; un compromis (consensus) prend du temps à se construire. Les partenaires sociaux devraient également être soutenus dans le renforcement de leurs capacités (« capacity building ») aux différents niveaux de concertation. Les partenaires sociaux demandent également qu’une place suffisante soit accordée à la concertation sociale dans l’organisation et le fonctionnement des commissions paritaires, les conditions de travail et l’organisation du marché du travail.
De plus, il est important que les autorités respectent les résultats des avis unanimes des partenaires sociaux. Les avis unanimes ciblent en effet le choix des options politiques les plus appropriées pour répondre aux intérêts communs des représentants les plus représentatifs des employeurs et des travailleurs (et éventuellement d’autres groupes tels que les organisations de consommateurs ou les ONG…). Le Conseil central de l’économie recommande que lorsqu’une position ou un accord unanime est atteint entre les partenaires sociaux, les autorités belges en tiennent systématiquement compte.
Les autorités européennes, qui font l’éloge de la concertation sociale, sont également invitées à respecter l’autonomie des partenaires sociaux dans toutes leurs actions et à promouvoir leur capacité à jouer pleinement leur rôle. Tous les accords entre les partenaires sociaux européens devraient être intégrés dans la législation européenne.
Un bon fonctionnement des organes de concertation
La présente analyse décrit les organes et les structures du système belge de concertation sociale. Afin d’assurer le bon fonctionnement du système belge de concertation sociale et de faciliter ainsi les évolutions nécessaires de l’économie et de la société belges sans que des conflits bloquants ne se développent et ne perdurent, un certain nombre de principes et d’engagements doivent être respectés par les partenaires sociaux au sein (et en dehors) de ces organes et structures. Le fait qu’ils soient légalement reconnus comme étant représentatifs implique des droits et des obligations pour les organisations d’employeurs et de travailleurs, lesquels doivent être appliqués dans leur pratique quotidienne. Comme nous l’avons déjà mentionné, le dialogue social est fondé sur la confiance mutuelle. Cela ne peut se faire que si les parties négocient de bonne foi20, respectent la légalité et remplissent les engagements qu’elles ont librement contractés.
Travaux futurs
Dans ses travaux futurs, le Conseil central de l’économie, en collaboration avec le CNT et le SPF ETCS, souhaite examiner plus avant le fonctionnement et les résultats de ces organes de concertation sociale. Dans l’esprit du Pacte social de 1944, les conditions pour remplir leur rôle de prévention et d’intervention seront analysées. Sur la base des enquêtes d’Eurofound, les partenaires sociaux examineront conjointement comment améliorer la confiance mutuelle entre les employeurs et les représentants des travailleurs afin que les organes de concertation puissent jouer pleinement leur rôle de prévention et d’intervention.»