Compromis n’est pas un mantra. Le mot est pourtant utilisé sur ce mode : ânonné les jours précédant la chute d’un gouvernement ; répété quand il a chuté ; et invoqué avant la formation du nouveau gouvernement. Puis il est oublié. A-t-on tort de se moquer ?
Non, car l’histoire se répète, d’abord comme une tragédie, puis comme une farce : quatre Premiers ministres en moins de deux ans ; une Assemblée nationale plus divisée que jamais ; une dette publique à 115 % du PIB ; des projets de loi bloqués, des députés, muets et désorientés, des partenaires sociaux invités tous les deux jours mais à qui on ne leur dit rien, etc. Et le mot de « compromis » est dans toutes les bouches !
Se moquer est cependant injuste : comment pourrait-il en être autrement ? Nos élites politiques, peu acculturées au nouage de compromis, hésitent à rompre avec des décennies de pratiques majoritaires (ce qui ne requiert pas de compromis avec ses opposants) et de combats protestataires (ce qui ne requiert pas de compromis avec le gouvernement en place). Il leur est moins coûteux de gouverner seuls ou de protester seuls que s’engager dans des concessions programmatiques. Les techniques de mise en compatibilité d’options rivales – la définition même du compromis – sont peu maîtrisées par ces élites (qui n’ont pu en faire l’apprentissage à l’ENA ou dans les Grandes écoles, où elles ne sont pas enseignées…). La confiance entre les dirigeants fait défaut, et chacun a de bonnes raisons de se défier de ses alliés autant que de ses adversaires. Et tous pensent posséder des alternatives, à quelques mois des élections municipales et de l’élection présidentielle : pourquoi faudrait-il aider les partis au pouvoir puisqu’il s’agit de les battre demain dans les urnes et gouverner à leur place ? Et pourquoi bâtir des majorités d’idées sur des scénarios possiblement consensuels puisque cela n’a jamais été fait depuis 2017 ?
La première leçon de notre vie politique actuelle est donc celle-ci : des conditions permissives sont requises pour qu’il y ait compromis entre des forces politiques ; et en France, à ce jour, elles ne sont pas remplies. Lesquelles sont-elles ? Au moins celles-ci : le sentiment des dirigeants d’être dans une impasse et la conviction que leurs adversaires sont dans le même cas ; la conscience de ne pouvoir parvenir aux objectifs qu’ils se sont donnés qu’en renonçant à certaines de leurs exigences ; et une lecture réaliste de la situation, cette lucidité dictant un comportement plus coopératif que compétitif. Est-ce le cas ? Non. Domine à gauche la croyance qu’une dissolution serait préférable à un soutien sans participation au gouvernement, ce qui permettrait de présenter une alternative claire à une politique « pro-business », jugée inégalitaire, et à une pratique verticale du pouvoir, jugée anachronique. Et domine à droite et en macronie la croyance que seules les solutions qu’elles préconisent sont appropriées, que toutes les autres ruineraient l’économie, et qu’il vaut mieux ne rien changer d’une politique pourtant rejetée, et mourir debout, muré dans le déni.
L’effort de rendre complémentaires des options concurrentes dans une même formule d’accord politique – un compromis, donc – suppose qu’il y ait réciprocité des concessions, en valeur comme en symbole. Rien n’indique, à ce jour, que c’est (ou que ce sera) le cas. Il faudrait, pour cela, que certaines lignes rouges des partis engagés dans une démarche de compromis soient frôlées, de sorte que le public citoyen constate l’ampleur des désistements des uns et des autres, et qu’il avalise ainsi l’accord, sinon de gouvernance commune, du moins de décisions communes, et qu’l encourage les élites à répondre aux défis de la période – et longue est leur liste.
Le choix de Sébastien Lecornu de laisser aux parlementaires le soin de négocier, en commission, les aménagements de son projet de budget 2026 – sans négociation méthodique avec les chefs de parti – revient à laisser au hasard des positionnements tactiques des députés et sénateurs nos choix budgétaires. Que le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, indique à la presse qu’il demandera ce vendredi au Premier ministre la feuille où ce dernier a écrit son projet de budget en dit long sur les « négociations » en cours avec ce parti, pourtant au centre du jeu politique actuellement – puisqu’il tient en ses mains l’avenir de M. Lecornu. Il a été dit que cela ne constituait pas l’arrivée mais le point de départ des négociations… Curieuse manière de procéder : on connaît depuis des semaines les lignes rouges de chacun et les propositions des uns et des autres. N’est-il pas un peu tard (et peu utile !) pour jouer au marchand de tapis et faire une offre d’ouverture tellement éloignée de celle de ses adversaires qu’ils en déduiront à coup sûr qu’il n’y a là aucune envie réelle de négocier ?
En cultivant l’imprécision depuis sa nomination, Sébastien Lecornu ne s’est pas en outre donné les meilleures cartes pour affronter la fronde sociale et les débats parlementaires : son capital de confiance est au plus bas, ses propos sur « la rupture sur le fond » lui seront toujours rappelés, et sa fidélité à Emmanuel Macron le desservira s’il délaisse les propositions venues de la gauche et des syndicats. Certes, l’histoire n’est jamais écrite et le pire, jamais sûr. Mais on voit mal comment Sébastien Lecornu, accusé par le PS de « fermer les portes en faisant semblant de les ouvrir », pourrait faire adopter son projet de budget. Sauf à jouer vraiment le jeu du compromis et qu’il accepte de réviser ses préférences en intégrant dans une formule d’accord politique une part des préférences de ses opposants. Il n’y a aucun signe tangible qu’on en prenne le chemin.