(II) « En Allemagne ou en Suède, les pratiques managériales sont discutées entre employeurs et représentants des salariés, dans le cadre d’un dialogue social structuré. » Entretien avec Frédéric Laloue, inspecteur IGAS et co-auteur du rapport sur le management…

Je reproduis ci-dessous un entretien avec Frédéric Laloue, inspecteur IGAS et co-auteur du rapport sur les pratiques managériales en France et en Europe. Je le remercie pour son éclairage sur cette mission de l’IGAS et ses principales conclusions.

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« Pourquoi cette mission, pourquoi aujourd’hui, et pourquoi ce choix de « parangonner 1» ?

Frédéric Laloue : La mission de comparaisons internationales sur les pratiques managériales résulte, comme environ 20% des missions de l’inspection générale des affaires sociales, d’une initiative des inspecteurs du service validée par les ministres. Le sujet du management suscite un intérêt croissant chez les acteurs sociaux, à juste titre : il touche à la qualité du travail, à la performance publique comme privée, et à la santé. Nous avons voulu explorer les liens entre management et protection sociale, en nous inspirant des pratiques de nos voisins européens — d’où ce choix de parangonner.

La synthèse de votre rapport (p. 2) indique qu’un « bon » management, dans tous les pays que vous avez observés, « se caractérise par un fort degré de participation des travailleurs et assure la reconnaissance du travail accompli ». Comment expliquer qu’en France, cette évidence ne semble guère être acceptée ?

Nous avons interrogé en France, en Allemagne, en Irlande, en Italie et en Suède des représentants des pouvoirs publics, des syndicats, des organisations professionnelles, des DRH, chercheurs, think tanks… Tous ont mis en avant un nombre limité de principes : participation, reconnaissance, autonomie, clarté des rôles et responsabilisation.

En France, les attentes exprimées ne sont pas différentes. Ce qui frappe, en revanche, c’est l’écart entre les principes souhaités et nos résultats au regard de ces critères. Ce décalage n’est pas une fatalité, mais il mérite d’être interrogé collectivement.

Quel rôle concret, et sous quelles formes, peut jouer le dialogue social dans les branches professionnelles et au niveau national interprofessionnel pour questionner et améliorer les pratiques managériales ?

Un rôle central. La comparaison avec l’Allemagne ou la Suède — et, dans une moindre mesure, l’Italie — montre que le dialogue social peut intégrer pleinement la question du management. Là-bas, les pratiques managériales sont discutées entre employeurs et représentants des salariés, dans le cadre d’un dialogue social structuré. Leurs principes directeurs peuvent même parfois être codécidés.

En France, le cadre législatif et réglementaire est dense, mais il ne suffit pas : les études et classements internationaux restent peu flatteurs. Pour progresser, il ne s’agit donc pas seulement de multiplier les normes, mais de s’appuyer sur d’autres leviers de diffusion de pratiques managériales renouvelées : le dialogue social, à tous les niveaux — interprofessionnel, branches, entreprises — est essentiel pour diffuser cette réflexion dans les collectifs de travail. Une telle réflexion ne signifie pas d’imposer tel ou tel modèle de management prêt à l’emploi, mais de permettre une délibération collective sur le travail et son organisation.

Concernant la formation initiale des futurs managers en écoles d’ingénieur et de gestion : pourquoi est-il encore nécessaire, en 2025, de plaider pour l’insertion dans les maquettes pédagogiques d’une « vision innovante du management– par exemple la maîtrise de l’ingénierie du dialogue social et du dialogue professionnel » ?

Parce que les cursus de formation initiale restent très hétérogènes, tant dans leur contenu que dans leur ambition managériale. Or, tous nos interlocuteurs — en France comme ailleurs — convergent sur un point : il faut renforcer les compétences managériales dès la formation initiale.

Cela passe notamment par une meilleure compréhension du dialogue social et professionnel, trop souvent marginal dans les enseignements. Relevons que l’essor de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur est un signal positif : en rapprochant les futurs managers des réalités de terrain, il peut contribuer à faire évoluer les représentations et les pratiques, en réduisant les distances hiérarchiques.

Quelles sont, parmi vos recommandations, celles que les organisations patronales sont le plus à même de soutenir et d’engager leurs adhérents à les expérimenter ?

C’est évidemment aux organisations patronales de répondre à une telle question. Cela dit, certains signaux laissent penser que la situation évolue. L’intégration du dialogue professionnel dans des accords collectifs récents, comme la convention collective de la métallurgie de 2022 ou l’accord national interprofessionnel de novembre 2024 sur l’emploi des seniors, en témoigne.

Le dialogue professionnel, ce sont des échanges structurés et réguliers entre les travailleurs — y compris les managers — autour de l’organisation concrète du travail, au sein des équipes. C’est une pratique à la fois simple et prometteuse, qui peut être un levier puissant de renouvellement managérial. »

  1. Définition proposée par l’ARS de Nouvelle-Aquitaine : « Le parangonnage est un processus d’analyse comparative visant l’adaptation et l’implantation de meilleures pratiques pour améliorer la performance des processus dans une organisation.
    ↩︎

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