Je poursuis ci-dessous l’analyse des résultats 2024 du sondage Baromètre du dialogue social (lire ici), proposé par le Cevipof, laboratoire associé à Science Po (lire ici) et l’association Dialogues (lire ici).
Dans le précédent billet, j’ai porté attention à la forme de ce sondage – la manière dont les questions sont posées, les items de réponse proposés, etc. Dans celui-ci, je porte plutôt attention sur le fond de ce sondage. C’est-à-dire : ce qu’il nous apprend sur le dialogue social et la négociation collective dans la France de 2024.

Une des premières questions du Baromètre 2024 est la suivante : « Quand on parle de dialogue social, à quoi cela fait-il référence dans votre environnement de travail ? ». Question doublement intéressante : un, on peut savoir ce que représente le dialogue social pour un salarié sondé ; et deux, on peut savoir ce que ce dialogue social représente… pour les sondeurs !
Cinq réponses étaient proposées aux sondés (ils devaient en choisir deux) : « Le dialogue entre les managers et les salariés », « Les relations sociales au quotidien », « La négociation d’accords collectifs », « Les échanges au sein des instances de représentation du personnel », « La négociation annuelle sur les salaires ». Les sondeurs ont donc omis des réponses comme « L’information-consultation obligatoire du CSE », ou « Les concertations entre l’employeur et les élus / les délégués syndicaux à propos de projets techniques ou d’organisation du travail ».
Comment ont répondu les sondés ? Les chiffres sont, pour chacun des items et dans l’ordre où ils sont ci-dessus cités : 36 %, 36 %, 34 %, 32 %, 21 %. Autrement dit : pour ces sondés, le dialogue social, ce sont les relations de travail, le dialogue avec les chefs, et… la négociation collective. Pourquoi cette assimilation, par les sondés, « dialogue social / relations de travail », ou « dialogue social / négociation collective » ? Parce ces choix d’items leurs étaient proposés… La similitude des chiffres montrent que pour les sondés, le dialogue social, c’est un peu tout cela, sans distinction…
Information intéressante : 42 % des cadres ont coché « Les échanges au sein des IRP » (mais ce fut le cas de seulement 29 % des non-cadres), et 42 % l’item « La négociation d’accords collectifs » (mais seuls 28 % de ces cadres ont coché « Les relations au quotidien »). Comment comprendre ces écarts ? Parmi les hypothèses possibles : les cadres ont ici une vision « institutionnelle » du dialogue social, avec des IRP et des processus de négociation d’accords collectifs, tandis que les salariés, eux, ont une vision « relationnelle » de ce dialogue social. Les syndiqués, d’ailleurs, ne cochent « les relations sociales » qu’à 29 %… Ce qui est logique : ceux qui savent (même grossièrement) ce qu’est le dialogue social ont tendance à cocher les items sur les IRP et la négociation collective ; les autres, non.
Reste la perception de ce dialogue social par les sondeurs… Je m’interroge en effet sur l’utilité d’une telle question. Qu’ont voulu savoir Laurence Laigo et Martial Foucault ? Le « dialogue social » est en effet une expression qui a émergé dans le débat social et politique depuis une quinzaine d’années, mais sans qu’une définition ait fait depuis lors consensus – à part celle de l’OIT (« Tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur des questions présentant un intérêt commun relatives à la politique économique et sociale » (lire ici). Pourquoi demander aux sondés de définir, selon eux, le « dialogue social » puisqu’il n’est pas véritablement défini ? Je pose la question à nos amis sondeurs et publierai ensuite leurs réponses…
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Les sondeurs ont ajouté en 2024 une question sur la perception du dialogue social dans son entreprise, identique à la question (déjà posée aux sondés lors des vagues précédentes) relative au dialogue social en France (« Diriez-vous que le dialogue social fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ? »). Cela permet donc de comparer les deux types de réponses… D’où deux surprises :
Un, le taux de satisfaction 2024 des salariés interrogés envers le dialogue social dans leur entreprise : 53 % estiment qu’il « fonctionne bien ». On constate, bien sûr, d’importants écarts selon le statut et le type d’entreprises : 60 % des cadres en ont une opinion positive, 57 % des salariés syndiqués une opinion négative ; et si 58 % des salariés de TPE-PME pensent que le dialogue social « fonctionne bien » dans leur entreprise, un même taux, 58 % de salariés, mais dans les grandes entreprises, pensent qu’il n’y « fonctionne pas bien »… En 2022, pour rappel : 54 % des sondés estimaient que le dialogue social dans leur entreprise était « inefficace »…
Deux, le fort différentiel entre la perception du dialogue social dans son entreprise et le dialogue social, en général (donc au plan national). Si les sondés sont 53 % à considérer que ce dialogue « fonctionne bien » dans leur entreprise, ils ne sont plus que 26 % à penser qu’il « fonctionne bien » en France (et 74 % qu’il ne « fonctionne pas bien »). Et l’on ne note pas ici d’écarts significatifs selon le statut ou le type d’entreprise des répondants…
Comment interpréter ce fort différentiel de perception (27 points d’écart !) ? Parmi les hypothèses possibles, celles-ci : On juge négativement ce qu’on ne connaît pas, ou ce que l’on connaît de façon lacunaire. On est sous influence de ce qu’en disent les médias (et en outre ils en disent peu…) ; et leurs commentaires sur le dialogue social sont tout sauf positifs. On a tendance (notre esprit, surtout !) à plutôt retenir les évènements qui ont fait saillance, comme l’échec d’un processus de négociation (par exemple, sur les séniors, en 2023), et d’oublier plus facilement les évènements positifs. On a également tendance à ne discerner dans le syndicalisme contemporain que des éléments en sa défaveur, comparés à son passé, à sa force ou ses victoires d’antan. Mais vous, Laurence Laigo et Martial Foucault, comment interprétez-vous ce différentiel important de réponse ?
Surtout à la lumière des résultats de la question portant sur l’efficacité du dialogue social dans l’entreprise. En 2024, les sondés sont 33 % à l’estimer « efficace », 47 %, « inefficace » (aucune définition de cette efficacité n’est cependant donnée, ou des exemples d’efficacité ; chacun coche donc les items avec sa perception subjective de ce qui est pour lui efficace ou inefficace…) et 20 % des sondés estiment que ce dialogue « n’existe pas » dans leur entreprise.
On a donc trois séries de résultats (pour trois questions un peu semblables) et pas une ne converge : 1) Pour 53 % des sondés, le dialogue social « fonctionne bien » dans leur entreprise » ; 2) Pour 26 % seulement, il « fonctionne bien » en France ; et 3) Pour 33 %, ce dialogue est « efficace » dans leur entreprise. Quel chiffre retenir et comment interpréter ces chiffres ? Qu’en pensez-vous, Laurence et Martial ?
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Autre question posée aux sondés : « Toujours à propos du dialogue social, diriez-vous que son absence ou son inefficacité s’expliquent avant tout par un problème… (de méthode, de personnes, d’organisation, d’éloignement (avec les managers ; avec les élus) ou de thématiques). Les réponses des sondés (dans l’ordre où elles sont citées ci-dessus) sont les suivantes (deux réponses étaient possibles) : 31 %, 30 %, 28 %, 19 %, 15 % et 7 %. Autrement dit, pour les sondés, l’inefficacité de ce dialogue social provient essentiellement : d’une absence de méthode, des personnes qui le font vivre, et d’un manque d’organisation… Voilà qui devrait alarmer dirigeants patronaux et dirigeants syndicaux !
Je ne peux m’empêcher de rappeler que, dans la plupart de mes analyses, depuis que mon blog existe (2020), j’alerte sur cette dimension de méthode et d’organisation. Conclusion : mettons-nous au travail, tous et toutes, sur ces aspects méthodologies et organisationnels, et sauvons (vite) le soldat « Dialogue social » !
(Prochain billet : L’art du compromis…)