(Je poursuis ci-dessous la présentation, sans les commenter, des points de vue de Force Ouvrière et de l’UGICT-CGT, sur l’IA.)
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Force ouvrière : Extraits de la page L’IA, une chance pour les salariés ?, publiée sur le website de Force ouvrière, le 11 octobre 2024 (lire ici).
« L’IA peut être une opportunité pour les salariés, déclarait Éric Pérès, secrétaire général de la fédération FO Cadres, lors d’une table ronde consacrée à l’incidence de l’intelligence artificielle (IA) sur l’emploi des cadres, organisée le 23 septembre 2024 par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis). Une opportunité, mais à trois conditions.
Premièrement : connaître les finalités de l’outil. Pour le secrétaire général de FO Cadres, il ne fait aucun doute que le déploiement de l’IA par une direction ou une administration a pour objectif d’augmenter la productivité
des salariés. Si l’IA générait effectivement de la productivité – les experts ne sont pas d’accord sur ce point –, cela pourrait se traduire par des suppressions d’emplois. Le repérage automatisé des piscines non-déclarées aux services fiscaux devrait ainsi entraîner 3 000 suppressions de postes à la direction générale des finances publiques, selon le syndicat FO des finances publiques, FO-DGFIP.
Mais s’agissant du travail lui-même et des conditions de sa réalisation, Éric Pérès est convaincu que l’IA peut être émancipatrice
, parce qu’il n’y a pas de déterminisme technologique
. Tout dépend, là encore, de la finalité de l’outil. L’IA a-t-elle pour but de dégager les salariés de tâches ingrates, de redonner des marges de manœuvres aux cadres, ou, au contraire, d’intensifier le travail, ou encore de faire du ranking (classement, Ndlr), par exemple un classement des ingénieurs en fonction de leur potentielle mobilité à l’international ?
, interroge Éric Pérès. (…)
Deuxième condition pour que l’IA soit réellement une opportunité pour les salariés : l’outil doit être proportionné à l’objectif recherché. Il y a des tâches qui peuvent être automatisées parce qu’elles ont une faible valeur ajoutée, mais qui, pour autant, ont un sens
à être réalisée par un humain, explique le secrétaire général de FO Cadres.
Enfin, dernière condition : la loyauté. Les entreprises et les administrations doivent présenter le nouveau dispositif
aux salariés, déclare Éric Pérès.
Si ces trois conditions sont réunies, cela forme une éthique opérationnelle
, estime-t-il. Or les conditions en question ne sont actuellement pas réunies.
Ainsi, lorsque les entreprises déploient des IA, les CSE ne sont pas souvent consultés, alors qu’il s’agit bien d’une nouvelle technologie
, constate Claire Abate, avocate spécialiste en droit du travail, également invitée à la table ronde de l’Ajis. Le Code du travail prévoit en effet (L2312-8) que le CSE est consulté sur l’introduction de nouvelles technologies et peut recourir à un expert. (…) Il n’en reste pas moins que les CSE sont rarement consultés lors du déploiement d’une IA. Les directions arguent qu’elles ne déploient pas une nouvelle technologie mais simplement une évolution ou une nouvelle solution de bureautique
, relate Éric Pérès. Leur attitude peut souligner aussi qu’elles craignent des contentieux autour du respect de la vie privée
. Sur cette thématique, note le militant, les syndicats ne sont pas toujours suffisamment formés
. (…)
Plus largement, les interlocuteurs sociaux sont convaincus que l’IA doit être cadrée. Éric Peres rappelle que cela avait été inscrit à l’agenda social autonome en 2021. Si on veut que l’IA ne suscite pas la défiance, il faut qu’elle fasse l’objet d’un dialogue social
, estime-t-il. En outre, notre rôle de syndicaliste est de réduire l’asymétrie d’information entre les directions et les salariés
. Peu surprenant, l’approche de FO et celle du patronat diffèrent. Le Medef renvoie au niveau de l’entreprise
, explique Éric Pérès. Pour le secrétaire général de FO Cadres, le cadrage de l’IA doit au contraire être réalisé au niveau interprofessionnel ou à celui de la branche. Il faut une négociation interprofessionnelle ou un référentiel de branche garantissant la conformité des outils, afin de ne pas laisser entrer n’importe quoi dans les entreprises
, explique-t-il. (…) ».
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UGICT-CGT : Extraits de l’article Mettre l’intelligence artificielle au service d’un nouveau modèle économique, social et environnemental, website de l’UGICT-CGT, non daté (lire ici).
« Débutés au milieu des années 1950, les travaux sur l’intelligence artificielle (IA) procèdent de l’ambition de doter la machine de la capacité d’agir comme si elle était douée d’intelligence humaine : cela reste aujourd’hui une utopie et un terrain de recherche, mais la dernière décennie a vu des systèmes d’informatique avancée, qualifiés d’IA, se déployer dans les entreprises et dans notre quotidien.
Ainsi l’IA n’est ni réellement intelligente, ni purement artificielle : comme toute technologie, elle est mise au service d’objectifs qui ne sont pas neutres, mais politiques, toute la question étant de savoir qui décide de ces objectifs et au bénéfice de qui.
Chercheur.euse. s, ingénieur.e.s, développeur.euse.s sont les architectes de ces systèmes et les encadrants sont les artisans de leur déploiement au fil d’une interaction entre l’humain et la machine appelée à se renouveler au rythme … des progrès de l’IA.
Qu’ils en soient concepteur.trice.s ou usager.ère.s, les ingénieur.e.s, cadres et technicien.ne.s opèrent dans un cadre contraint : celui d’une maîtrise d’ouvrage pour l’essentiel aux mains des GAFAMI (Google Amazon Facebook Apple Microsoft, IBM) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). (Géants nord-américains et chinois du web).
Dans une course effrénée pour créer de nouveaux débouchés, doper l’expansion de ce marché et y occuper une place prépondérante, ces sociétés s’emploient à déployer massivement les systèmes à base d’IA. Objets connectés, GPS, chatbots, trading haute fréquence dans la finance, algorithmes prédictifs ou de recommandation, progiciels de gestion d’activité et assistants juridiques, attestent du succès de leurs efforts.
Les GAFAMI et BATX déploient leurs produits auprès d’entreprises qui redoutent, avant tout, de rater un virage technologique décisif, et avec le soutien d’États, conscients des enjeux géopolitiques liés à la maîtrise de ces nouvelles technologies. En imposant l’intelligence artificielle comme une évidence, les GAFAMI et BATX réussissent à évacuer du débat public la question fondamentale de ses finalités au profit de leurs seules réponses.
Si les déterminismes technologiques n’existent pas, il n’en est pas moins vrai qu’il existe des tournants technologiques majeurs, dont l’exploitation capitaliste s’avère prédatrice pour le monde du travail, les libertés individuelles et l’environnement. Nous avons besoin de politiques et de cadres réglementaires nationaux et internationaux pour garantir que cette technologie profite à l’humanité tout entière. L’IA doit être au service de l’humanité et ne doit pas nuire aux libertés.
Il importe donc de maîtriser dès leur conception ces tournants technologiques pour qu’ils atteignent les objectifs économiques, sociaux et environnementaux qui leur auront été démocratiquement assignés.
(…) Il s’ensuit, un impact sur l’emploi, évalué négativement par tous les organismes de prospective, avec une tendance à la disparition des emplois les moins qualifiés au profit de la création d’emplois de plus en plus exigeants en haut niveau de qualification. Selon les méthodologies des études, ce sont entre 10 % et 42 % des emplois qui seraient menacés en France de disparition dans les deux prochaines décennies, et 50 % des emplois qui seraient automatisés à plus de 50 % (Rapport Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, page 101 ; lire ici).
Quant aux hypothétiques phénomènes de compensation entre création et destruction d’emplois, ils s’inscrivent dans des temporalités décalées qui peuvent durablement priver d’activité de nombreux travailleurs, d’autant plus que ces phases de transition sont appelées à se répéter au fil des nouveaux développements de l’IA instituant un moyen terme glissant… vers le long terme. (…)
Parallèlement à leurs engagements vis-à-vis des entreprises, les géants du numérique promettent aux salarié.e.s, la fin des travaux fastidieux et répétitifs, ce qui, en pratique, soulève moult questions. En effet, n’est fastidieux que ce qui procure de l’ennui. Un individu peut donc trouver un accomplissement dans une tâche, qu’un autre trouvera fastidieuse. Même analyse pour les tâches répétitives : la maîtrise de certains gestes et l’acquisition de certains savoirs requièrent la répétition. C’est vrai pour le violoncelliste, le patineur, le cuisinier ou le chirurgien qui ne se lassent pas de leur travail, pourtant répétitif, et trouvent un accomplissement dans la perfection du geste. Quand la compétence procède de la répétition et plus généralement de la pratique, l’automatisation peut devenir un obstacle à son acquisition et créer une dépendance à la machine. Enfin, pour bien des professionnels, l’intérêt du métier réside, par-delà la répétition, dans les échanges et les liens sociaux qu’il permet de nouer avec leurs interlocuteurs bien humains.
C’est un pan essentiel de l’activité des géants du numérique qui concrétise un essor d’un capitalisme qui n’est plus fondé sur la transformation de matières premières en produits, mais sur l’exploitation des informations laissées par les utilisateurs des réseaux sociaux et des plateformes, soit à des fins de revente, soit pour développer de nouveaux systèmes d’intelligence artificielle : la fiabilisation des algorithmes requiert en effet leur mise à l’épreuve sur un grand nombre de données. En devenant des intermédiaires incontournables de la mise en relation des entreprises et de leurs potentiels clients dans des domaines aussi variés que le transport, l’hôtellerie, le commerce, ils déstabilisent le tissu économique en imposant leurs conditions aux entreprises et commerces, jusqu’à l’asphyxie. Par leur capacité à recueillir et analyser des volumes considérables de données, ces firmes acquièrent en outre un pouvoir redoutable, celui de produire des informations qui seront nécessairement structurantes pour nos sociétés.
(…) Par ailleurs, le développement de l’IA s’inscrit toujours dans un contexte historique, social, et politique. Il en résulte des biais, en particulier dans la conception du recueil des données, inhérents au fait qu’ils reflètent les cultures et usages existants et reproduisent les hiérarchies sociales structurées par les pouvoirs en place.
L’analyse qui précède ne se prétend pas exhaustive. Elle a pour seule vocation de souligner la capacité de l’IA à façonner nos sociétés, ce qui impose de ne pas abandonner son développement à des intérêts privés, mais de concevoir un modèle alternatif centré sur l’humain et la satisfaction de ses besoins économiques, sociaux et environnementaux. »
