(Je présente, dans ce billet et le suivant, et sans les commenter, les points de vue de la CFE-CGC, de la CFDT-Fonction publique, de la CFTC, puis de Force Ouvrière et de l’UGICT-CGT, sur l’IA.)
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CFE-CGC : Extraits de l’entretien avec le secrétaire national CFE-CGC à la transition économique, Nicolas Blanc, Développer un dialogue social adapté aux enjeux de l’IA, publié le18 décembre 2023 sur le website de la CGC (lire ici).
« Quelles sont les grandes lignes de la doctrine élaborée par la CFE-CGC en matière d’IA ? Notre corpus et nos revendications figurent dans le grand document de synthèse Restaurer la confiance, présenté en avril 2022, avec des propositions visant à développer une économie numérique de confiance avec un dialogue social adapté aux enjeux de l’IA. Dans la perspective du prochain règlement européen sur l’IA (AI Act), essentiellement basé sur l’auto-évaluation des entreprises, il s’agit, en tant qu’organisation syndicale, de jouer un rôle de régulateur de proximité pour contrôler sa mise en place. La technologie de l’IA doit être au service des entreprises et des salariés. Pour la CFE-CGC, la question de la souveraineté économique est également fondamentale car si on parle énormément du logiciel ChatGPT, développé par le géant américain OpenAI, la France se distingue avec la start-up Mistral AI, qui déploie son premier modèle ouvert d’IA générative. Enfin, la CFE-CGC se veut très vigilante vis-à-vis de la durabilité des systèmes, tant les technologies d’IA, avec les data centers, sont énergivores. À tire d’exemple, le numérique au sens large représente aujourd’hui 4 % des émissions mondiales de carbone, contre 5 % pour le secteur aérien…(…)
Face à l’introduction de technologies d’IA, que peuvent faire les délégués syndicaux et les élus du personnel dans leur entreprise ? Avant l’introduction de ces technologies, ils ne peuvent malheureusement pas grand-chose si la direction ne joue pas le jeu du dialogue social en matière de digitalisation. Il faut rappeler que dans la cadre des consultations obligatoires annuelles, les orientations stratégiques de l’entreprise doivent être présentées aux représentants du personnel. Les plans de digitalisation peuvent en faire partie. La démarche permet de mesurer les impacts sur les emplois et les besoins en termes de compétences des salariés. Notons également que le Code du travail, par l’article L-2311-1 sur l’introduction des nouvelles technologies, permet de mener une information-consultation pour discuter ces questions dans l’entreprise. Enfin, s’agissant d’un plan social, le projet doit être étudié par les représentants du personnel. La question du remplacement des salariés par un outil d’IA et des impacts en termes de productivité et de coût économique doit donc être dûment discutée.
Quels emplois sont les plus menacés par le développement de l’IA ? Les emplois intellectuels, qui ont déjà subi un déclassement lié à la mondialisation, sont les plus menacés. On peut penser aux pigistes qui remplacent les journalistes et à qui on demande de produire du contenu à faible valeur ajoutée, par exemple dans les journaux gratuits. Idem pour les consultants juniors qui produisent surtout des présentations powerpoint pour des comités de direction. Tous ces emplois, appelés péjorativement bullshit jobs mais qui constituent une tendance réelle dans le monde du travail, vont être remplacés par des outils de type ChatGPT si ceux-ci coûtent moins cher dans la chaîne de valeur (…) »
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CFDT-Fonction publique : Extrait de l’article Intelligence artificielle et environnement : un défi écologique pour nos services publics, publié le 23 octobre 2024, sur le website de la CFDT-Fonction publique (lire ici)
« Trouver un équilibre entre risques et opportunités. Le dilemme n’est pas simple : trouver un équilibre entre la contribution de l’intelligence artificielle (IA) aux enjeux environnementaux et son impact écologique.
De l’analyse des données pour affiner les modèles climatiques à la gestion des réseaux d’eau potable et d’éclairage publics, l’IA a déjà un impact positif quotidien sur la gestion des risques et des ressources. Bien que les exemples se diversifient, l’IA est encore principalement utilisée dans des secteurs comme la finance, le marketing ciblé et l’industrie, favorisant des modes de production et de consommation non durables et pouvant accentuer les inégalités sociales. En parallèle, la demande croissante en énergie, métaux, eau, ainsi que l’artificialisation des sols pour l’installation des sites de traitement et de stockage, pourrait rapidement devenir critique.
Promouvoir des pratiques de sobriété numérique et l’évaluation de l’empreinte environnementale. Cet avis est le point de départ d’une réflexion plus vaste sur le rôle de la puissance publique dans l’encadrement des technologies numériques. L’une des recommandations clés est de systématiser l’évaluation de l’empreinte environnementale des systèmes d’IA, afin de pouvoir avoir le choix d’une IA « frugale », et de promouvoir des pratiques de sobriété numérique, que ce soit dans l’usage ou dans le matériel. Il recommande également que l’implantation des centres de données puisse prendre en compte l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) et intégrer des systèmes de récupération et de valorisation de la chaleur produite par les infrastructures.
Garantir notre souveraineté numérique. Les enjeux de sécurité et de performances environnementales appellent à un pilotage renforcé pour garantir notre souveraineté numérique, en sécurisant les infrastructures critiques et en réduisant les dépendances technologiques vis-à-vis de puissances étrangères. La conception d’IA prenant en compte les enjeux climatiques à la fois dans leurs conceptions et leurs usages nécessite l’intervention de financements publics pour des programmes de recherche et d’innovation ambitieux.
Construire un cadre de régulation pour l’avenir. La France dispose déjà de nombreuses initiatives, notamment les lois AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire ; lire ici) et REEN (loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique ; lire ici), ainsi que la feuille de route pour la décarbonation du secteur numérique, qui constitue l’un des 6 chantiers de la planification écologique. Ce mouvement s’inscrit dans le prolongement de l’article 301 de la loi dite Climat et résilience (lire ici), dont les déclinaisons concrètes commencent à prendre forme. Cependant, il reste crucial d’harmoniser les différents dispositifs existants afin d’assurer une transition juste et efficace.
La CFDT appelle à une mobilisation collective pour que l’IA ne devienne pas un simple instrument d’accentuation des inégalités sociales et environnementales. Au contraire, elle doit être intégrée dans une vision de long terme, où l’innovation se conjugue avec la responsabilité.
L’avis du CESE, Tracer une voie vers une IA respectueuse de l’environnement et à finalité environnementale, adopté le 24 septembre 2024 (lire ici), nous rappelle que l’IA, en tant qu’outil, peut être mise au service de l’intérêt général ou, au contraire, amplifier les déséquilibres. Il appartient à la puissance publique de garantir un cadre où l’innovation technologique rime avec justice sociale, service public et durabilité environnementale. »
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CFTC : Extraits de témoignages de militants CFTC publiés le 24 juillet 2024 sur le website de la CFTC, article IA au travail : quels impacts, quelles menaces, quelles opportunités ?
« Mon entreprise se voit déjà affectée par l’irruption de l’IA… Pour l’instant, c’est la direction des systèmes d’information qui se trouve touchée : 5 % des effectifs de l’entité concernée viennent d’être licenciés…Ce chiffre de 5 % peut paraître anodin. À tort : il dévoile selon moi les prémices d’un changement majeur. Je ne crois pas à une mise en œuvre progressive et linéaire de l’IA dans nos organisations de travail. J’entrevois plutôt une accélération brutale et exponentielle, une fois que ses fonctionnalités seront davantage éprouvées (…) (Fabien Calcavechia, journaliste-photographe et président de la CFTC-Communication)
« L’IA est entrée à la DGFIP il y a environ 10 ans. “LLaMandement”, un outil porté par la Direction de la transformation numérique de la DGFIP, fonctionne avec cette technologie. Il automatise une partie du traitement des amendements parlementaires lors de l’examen du projet de loi de finances en séance publique, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Grâce à LLaMandement, trois étapes sur quatre ont ainsi pu être presque entièrement automatisées. Avec un travail de qualité équivalente à celui d’un humain spécialiste et, surtout, réalisé beaucoup plus rapidement : 15 minutes contre 6 à 10 heures ! (…) Nul doute que le déploiement de l’IA conduira à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de coordination… Il faudra notamment avoir une réflexion de fond sur la redistribution des gains permis par l’IA vers une réduction du temps de travail et un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. » (Luc Velter, président du syndicat national CFTC-DGFIP)
« La difficulté avec l’IA, c’est de bâtir des prospectives…Selon moi, on ne sera pas remplacés par une machine – en tout cas, pas tout de suite – à cause des investissements colossaux que cela nécessiterait. On risque plutôt d’être remplacés par des personnes qui savent comment fonctionne l’intelligence artificielle. Il faut donc absolument se former. (…) Si l’IA est correctement mise en œuvre, si on lui délègue la technique pure, on peut alors ajouter de la plus-value humaine à certains métiers. Quoi qu’il en soit, je suis complètement d’accord avec les propos du chercheur français Luc Julia : l’IA n’est pas intelligente. C’est un mélange de statistiques, de mathématiques et d’informatique. Mais elle est puissante. Et cette puissance, c’est à nous de la maîtriser ! » (Grégoire Dacheux, délégué syndical chez Capgemini)
(Les positions de FO et de l’UGICT-CGT dans le prochain billet…)