« Pour une société du compromis ». À propos de l’actualité et de l’ouvrage de Laurent Berger et Jean Viard…

J’ai lu ces jours-ci le dialogue entre Laurent Berger, ancien secrétaire national de la CFDT, et Jean Viard, sociologue et chroniqueur, ex-député de La République en Marche, paru en avril dernier aux éditions de l’Aube (lire ici). Le titre est alléchant – Pour une société du compromis ; et son contenu est à la hauteur d’une rencontre entre deux hommes de grande expérience, « l’expert du social » et « l’expert de la société », comme ils se définissent eux-mêmes en début d’ouvrage…

À quelques jours du premier tour des élections législatives, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale ordonnée abruptement par Emmanuel Macron (ce président adolescent, comme le décrit Raphaël Glucksmann dans sa récente tribune au journal Le Monde : « Nous savons que nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à craquer des allumettes dans une station-essence sous les vivats énamourés de trois conseillers obscurs » ; lire ici), je m’autorise à reproduire ci-dessous de brefs extraits de leur ouvrage-entretien. Pour donner envie de le lire, d’abord, car il est roboratif et l’on ressort tout ragaillardi de sa lecture. Pour dessiner des perspectives, aussi, et cela dès le 8 juillet matin, puisque, dans tous les cas de figures – une majorité RN ; une majorité NFP ; une majorité Ensemble –, il nous faudra, nous tous, issus de la société civile, aider à éviter le pire, donc trouver les voies, via nos associations, nos syndicats, nos organismes professionnels, etc., pour que survive et se renforce notre démocratie républicaine.

Extrait 1 (pages 27-28) : « LB – J’identifie deux problèmes clés en réalité. Le premier, c’est notre propension à légiférer plutôt qu’à négocier, et à imposer la même loi à tous. Cette frénésie législative n’est garante d’aucune efficacité. Au contraire, le contrat est beaucoup plus engageant pour beaucoup de parties. C’est pourquoi il faut articuler les deux, en adoptant des lois-cadres qui bornent les négociations plutôt que d’essayer de faire le bonheur de tout le monde avec une seule et même règle qui ne prend pas en compte les spécificités.

Deuxième problème, lié au précédent : l’ultracentralisation. Les solutions autour du “pouvoir de vivre” se trouvent chez ceux qui connaissent le mieux les situations parce qu’ils les vivent eux-mêmes. Malgré l’importance du droit, nous devons sortir de notre obsession réglementaire, très française, et donner de l’air aux acteurs. Fixer un cap clair et laisser des marges de manœuvre aux citoyens. Oser (…) faire confiance à l’intelligence des citoyens ».

Extrait 2 (pages 32-33) : « LB – Soyons lucides : une société est traversée d’intérêts contradictoires et elle n’est jamais la somme des intérêts particuliers – celui des travailleurs, celui des employeurs, celui des chasseurs, celui des environnementalistes… ; il faut écouter et co-construire avec tous ceux qui ont légitimement des choses à dire et à apporter. C’est d’autant  plus indispensable que, si on ne le fait pas, il se produira une forme de radicalisation de l’action, dont on observe déjà des prémices nettes. Chacun peut pourtant constater que celui qui crie le plus fort n’est pas nécessairement celui qui obtient les avancées les plus significatives, ni même celui qui a le plus de raisons de protester.

Pourquoi, dans les entreprises, le rapport de force s’est-il si souvent inversé entre syndicats ? Parce que les salariés attendent des résultats, pas des coups d’éclat dans lendemain. Les citoyens n’ont pas besoin qu’on relaie sans arrêt ce qu’ils vivent, qu’on soit leur porte-voix, ils ont besoin d’apporteurs de solutions, qu’ils soient représentant associatif, syndical, élu local ou même responsable d’entreprise. »

Extrait 3 (pages 44-45) : « LB – Ceux qui sont fermés, de toute façon, il faut les réintégrer au débat, car on ne peut se cloitrer dans des préjugés réciproques (…) Je suis persuadé que nous n’aurons pas d’autre voie que de réunir les gens autour de la même table – c’est symbolique la table. L’entreprise est pour cela un domaine un peu privilégié, où la coexistence d’histoires et de visions différentes se passe plutôt pas mal, où le compromis paraît le mieux adapté que dans d’autres sphères de la société. »

Extrait 4 (pages 89-90) : « LB – Dans l’entreprise, priorité à la négociation, mais en cas d’absence d’accord, le  cadre le plus contraignant s’applique. Soit un encouragement fort à l’intelligence collective et à la négociation. Dans la société, et notamment à l’échelon local, c’est la même chose. Vous vous entendez, sinon le cadre commun s’applique, mais le cadre commun ne constitue qu’un socle minimal, moins favorable. Il faut instaurer, dès que c’est possible, des incitations à la négociation, des “primes au dialogue et à la co-construction”. Pourquoi ? Parce que cela marche toujours mieux, dans l’entreprise ou dans la société : les changements deviennent acceptables quand ils ont été discutés. (…) Dans une époque où l’individualisme s’est renforcé, c’est aussi une façon de re-responsabiliser  tout le monde, d’inciter les individus et les citoyens à prendre leur place. ».

Extrait 5 (pages 115-119) : « LB-JV – L’idée de ce livre est simple : face à la radicalité des bouleversements du monde, la radicalité des positions est non seulement inefficace, mais contre-productive. Pour avancer, il nous faut des analyses, des débats d’idées et des compromis nourris de la responsabilité de chacun, arbitrés par la puissance publique dans un État de droit juste et robuste. Parce que ces mutations, qui sont pour partie subies et pour partie choisies, sont d’une ampleur sans précédent, elles exigeront des choix radicaux pour faire émerger une société plus juste et plus durable. Elles exigeront aussi une implication forte de chacun d’entre nous. Or il ne peut y avoir implication sans adhésion, ni d’adhésion sans discussion (…) Les solutions existent ; elles seront collectives ou ne seront pas, elles seront débattues ou ne seront pas, elles seront de nouveau portées par un élan enthousiaste et des passions joyeuses, elles seront associées à un dessein et à un destin positifs, ou seront condamnées. Ce n’est pas l’affaire des politiques, c’est l’affaire du politique. Et le politique, c’est nous tous. Tous ensemble. »

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