Il faut examiner avec sérieux la proposition de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, faite ce jour dans un entretien au journal Le Monde (lire l’interview ici ) : conditionner l’octroi d’aides publiques aux entreprises (dans le cadre du plan de relance de l’économie, dévoilé jeudi prochain) à des engagements clairs de leurs directions à les utiliser pour favoriser la transition écologique et la création d’emplois de qualité, et ne les leur verser que si le CSE de chacune approuve le plan proposé par leur direction. « À défaut », indique Laurent Berger, « les représentants du personnel doivent pouvoir s’y opposer, et le chef d’entreprise contraint de revoir sa copie ».
Il faut examiner cette proposition avec sérieux car elle est une réponse, utile et concrète, à trois nécessités :
Un, « verdir » la relance économique française post-Covid 19, en incitant les directions d’entreprise à ne pas se contenter d’empocher la subvention mais s’en servir pour refaçonner les manières de concevoir et de s’organiser pour produire produits et services dans le cadre de la transition écologique ;
Deux, mobiliser l’intelligence collective des salariés et de leurs représentants pour élaborer ces plans de poursuite d’activité, les ajuster aux situations et accroître leur efficacité (y compris en termes sociaux et écologiques) ;
Trois, faire vivre dans l’entreprise un dialogue social de qualité, gage d’un climat social apaisé, d’une qualité appréciée de vie au travail et d’une bonne réactivité face aux aléas productifs ou commerciaux.
Demander l’avis conforme du CSE sur le plan d’aide déposé par une direction d’entreprise, c’est, tout à la fois :
Respecter l’esprit et la lettre de notre législation sociale, héritière des idéaux du programme du Conseil national de la résistance de mars 1944 (« l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale (… ) et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ») ;
Responsabiliser les élus des CSE en leur demandant d’examiner avec attention un plan d’aide susceptible de modifier l’organisation du travail et d’impacter les conditions de travail de leurs mandants ;
Miser sur la capacité de ces élus des CSE d’imaginer des solutions appropriées et de résoudre avec leurs directions, dans le cadre d’un débat contradictoire, des problèmes socio-productifs jusqu’alors laissés à la seule initiative patronale ;
Instituer et pérenniser un contre-pouvoir, à la fois institutionnel et pédagogique, susceptible de bonifier les décisions des directions.
Permettre aux élus des CSE de discuter et amender le plan d’aide de leurs directions, c’est aussi se conformer aux objectifs de ces CSE, tels qu’ils furent définis par les ordonnances de 2017 : « Assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ».
La période post-Covid 19 de ces prochains mois me semble être un moment propice pour expérimenter « une co-détermination à la française », à la fois pragmatique (car l’enjeu est tout autant la relance de notre économie que la santé et la sécurité sanitaire de tous les salariés) et appropriée à notre histoire et à nos traditions (car il s’agit moins de « révolutionner » que de poursuivre l’effort, engagé depuis 1982, pour mieux associer les salariés aux décisions qui les concernent).
Rappelons ici, une nouvelle fois, qu’en Allemagne un employeur ne peut adopter une mesure sans l’accord du Betriebsrat, le Comité d’entreprise. Ce dernier peut ainsi, comme l’explique Sebastian Sick dans un article paru en 2013 dans la revue Annale des mines – Réalités industrielles (pour l’article complet, lire ici) « discuter sur un pied d’égalité et co-décider dans les cas où existent des droits de co-détermination explicitement prévus. Dans ces cas, les décisions de l’employeur sont subordonnées à l’accord du comité d’entreprise : l’employeur ne peut pas décider seul. De tels droits de co-détermination existent dans le domaine du personnel, par exemple pour les règles et critères de recrutement, mais surtout dans le domaine social, par exemple en ce qui concerne le règlement intérieur de l’établissement, les horaires de travail quotidiens, la mise en place et l’utilisation d’instruments techniques de contrôle, la mise en œuvre du travail par équipe, etc. L’établissement des plans sociaux lors de réorganisations et les fermetures d’établissements sont pleinement soumis à la co-détermination. »
Je ne sache pas que l’Allemagne, avec pareille législation en vigueur depuis 1951, soit devenue une puissance économique de moindre rang, handicapée par un laxisme social désuet et secouée en permanence par de forts mouvements sociaux ; ce serait plutôt l’inverse !
L’explication est simple : si l’employeur allemand est soucieux de voir son projet (d’embauches, d’organisation du travail, d’investissement technique, etc.), validé par le Comité d’entreprise, il prendra soin d’équilibrer les gains qui résulteront de ce projet, sans profiter de son statut et de son autorité pour imposer sa décision, prise unilatéralement et sans qu’elle ait pu se bonifier au travers d’un débat contradictoire avec les élus des salariés.
Il n’est pas illusoire de penser que le débat sur notre démocratie sociale et la participation des salariés à « la direction de l’économie » puisse redoubler d’intensité à l’occasion de cette crise sanitaire. Ce billet d’humeur est une contribution à ce nécessaire débat public.
Je suis partisan de la méthode et je partage le point de vue du rédacteur de ce billet d’humeur. Mais celui-ci oublie un peu vite ses trois articles précédents et fait fi de la restriction apportée par l’interlocuteur allemand qu’il cite dans son article.
Il est essentiel pour cela d’avoir discuter sur un pied d’égalité et co-décider dans les cas où existent des droits de co-détermination explicitement prévus.
j’invite donc Christian THUDEROZ a m’indiquer où je peux trouver des droits de co-détermination explicitement prévus.
J’aimeJ’aime
Cher André Milan : merci de ton message. Je n’ai pas, en tous cas pas de façon accessible et en langue française, d’exemples de droits de co-détermination explicitement prévus dans telle ou telle entreprise allemande.
Je peux juste ici citer un article assez précis, issu du site web de ETUI, European Trade Union Institute (l’institut syndical européen), rattaché à l’ETUC, European Trade Union Confederation (la Confédération européenne des syndicats) (article complet accessible via : http://fr.worker-participation.eu/Systemes-nationaux/Pays/Allemagne/Representation-sur-le-lieu-de-travail
On y lit ceci :
« La loi confère deux principaux types de droits au comité d’entreprise : droits de participation, en vertu desquels il doit être informé et consulté sur des sujets particuliers et peut avancer des propositions, et droits de co-détermination, dans le cadre desquels des décisions ne peuvent être prises sans son consentement.
Dans certains des domaines où il jouit de droits de co-détermination, le comité d’entreprise peut voir ses objections rejetées par une décision du tribunal du travail. Sur d’autres questions, le comité d’entreprise doit accepter expressément les propositions de la direction et il ne peut être fait appel au tribunal du travail. Dans la plupart des cas, la question doit être soumise à une instance de conciliation (Einigungsstelle), composée de représentants de l’employeur et du comité d’entreprise, avec un président neutre. Dans les domaines nécessitant son consentement exprès, le comité d’entreprise peut également faire des propositions qui doivent être prises en compte de la même manière que celles émanant de l’employeur. (…)
Sur le terrain économique, le comité d’entreprise doit être informé de la situation économique de l’entreprise – au travers de rapports trimestriels dans les grands établissements – et consulté sur les mesures susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur le personnel, telles que l’introduction de nouvelles techniques, procédures ou technologies. Dans les établissements de plus de 100 salariés, beaucoup de ces droits sont exercés par le comité économique, composé pour tout ou partie de membres du comité d’entreprise et auquel l’employeur doit rendre compte une fois par mois.(…)
Le comité d’entreprise jouit de droits positifs à la co-détermination sur toute une série de questions sociales, parmi lesquelles : règles disciplinaires ; heures de début et de fin de journée de travail et pauses ; réduction ou allongement du temps de travail (par exemple, heures supplémentaires ou chômage partiel) ; congés ; règles de calcul des rémunérations (par exemple, basé sur un système de primes ou sur les heures effectuées) ; fixation des primes et des objectifs ; date et méthode de paiement ; introduction de caméras ou de tout autre dispositif de surveillance des activités ou du comportement du personnel ; modalités de fonctionnement des infrastructures sociales telles que les cantines ou les terrains de sport ; fonctionnement du système de suggestions et mise en place du travail de groupe. Sur certains de ces thèmes, le comité d’entreprise passe un accord écrit avec l’employeur. »
J’aimeJ’aime